top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurAnouchka

Que se cache-t-il derrière le concept d'introspection?


L’introspection est un concept très utilisé en psychiatrie, psychanalyse et psychologie qui peut être également étudié dans le cadre de la psychologie scientifique. Dans la mesure où l’introspection doit faire l’objet d’une « connaissance », il est indispensable qu’elle soit à minima « exprimable ».

« L’introspection peut se définir comme l’accès à nos propres états et contenus mentaux, assortis à d’une capacité de les communiquer à autrui » ( Sackur, 2009). Dans ce sens, l’introspection nous permet d’exprimer notre « humeur », de retranscrire un raisonnement ou de rapporter des éléments imaginaires. L’introspection est étroitement reliée à l’inconscient qui est souvent perçu comme une « sorte de mémoire », dont le lieu serait localisé dans les structures cérébrales et qui ne serait pas accessible à la conscience. Dans cet article, nous aborderons par conséquent l’introspection en psychologie expérimentale et parallèlement, nous tenterons de montrer à travers les courants de pensées de trois psychanalystes : Freud, Lacan et Schotte, que l’inconscient n’est pas pour la psychanalyse un obscure « fantasme » bien caché dans le labyrinthe de la mémoire.


La nature de l’introspection est basée sur des sens externes comme la perception (Sydney Shoemaker, 1994). Nous nous représentons habituellement et cela de façon la plupart du temps inconsciente les états mentaux des autres. Nous leurs attribuons des perceptions, des ressentis, des objectifs, des intentions, une connaissance, des croyances et simultanément, nous élaborons nos attentes en accord avec ces attributions. Il est à noter que même si nous n’utilisons pas cette lecture des états mentaux des autres dans toutes les formes d’interactions sociales, il est certain que sans celle-ci, la vie sociale serait très différente.

Si l’on se place dans l’optique de l’introspection en tant qu’elle rentre dans le cadre de la psychologie expérimentale, on peut dégager, deux grandes lignes dans la « préhistoire des critiques de l’introspection » :

  • Kant dans la Préface des Premiers principes métaphysiques d’une science de nature pointe du doigt le « caractère fragile des données introspectives parce que évanescentes et privées ». Il sera par conséquent ardu d’élaborer une science sur ces données.

  • La seconde critique de l’introspection est issue de la 1ère leçon du cours de Philosophie Positive d’Auguste Comte. Cette critique d’ordre logique conteste « la possibilité même d’une auto-observation », arguant que le sujet est dans l’impossibilité de conjuguer les deux états en même temps, à savoir : « agir et s’observer en agissant ».

Pour William James (1890), l’introspection est toujours une « rétrospection ».

La définition que nous livre Wundt de la psychologie est la suivante : la psychologie est « la science de l’expérience immédiate et cela s’oppose à l’expérience interne ». Il faut entendre par cette définition que pour Wundt, le relation entre le psychisme et l’expérience extérieure ne signifie pas que le psychisme ait un « domaine propre ». Si la psychologie a pour objet la conscience, il n’en reste pas moins que celle-ci ne doit pas être appréhender comme « une sphère close et privée remplie d’objets d’un type irréductible aux choses matérielles que nous percevons ». Wundt considère que la connaissance psychologique est la résultante d’une modification de perspective que l’on embrasse au regard de l’expérience générale, ce qui ne sous entend pas qu’il y ait un changement quelconque de nature de l’expérience. L’introspection n’est pas « une observation active qui risquerait de modifier ce qui est observé mais un regard indirect de ce qui se trouve à la périphérie ». Dès lors, il faut opérer une division entre :

  • La Psychologie ayant attrait aux processus de haut niveau : le langage, le jugement, l’imagination qui peut se pratiquer hors laboratoire par observation.

  • La Psychologie élémentaire qui ne peut faire l’impasse d’une « expérimentation par introspection ».

On peut en déduire que Wundt s’est appliqué à minimiser dans la psychologie le rôle de l’introspection, pourtant essentiel.

A l’école wundienne, on peut opposer l’école de l’introspection expérimentale défendue entre autres par Watson, chef de fil du béhaviorisme. L’apport du béhaviorisme est important car il autorise l’étude des processus de haut niveau ( mémoire, jugement, imagination) et allie l’ « exigence méthodologique d’objectivité et la doctrine comportementaliste ». En outre, on peut noter que l’objectif de Watson ne se cantonne pas à l’unique développement de la psychologie mais qu’il s’inscrit dans une volonté élargie d’ « un devoir d’esprit éclairé » d’encourager « une société mieux organisée, faite d’individus plus heureux et équilibrés ».

L’article de George Sperling compte parmi un des plus émérites dans l’histoire de la psychologie expérimentale, relatant par la méthode du « rapport partiel », une intéressante « opérationnalisation de l’introspection ». Dans cet article, Sperling démontre que la mémoire iconique ( un sous système de la mémoire visuelle intégrant mémoire visuelle à court terme et mémoire visuelle à long terme et dotée de 2 composantes : la persistance visuelle et le persistance informationnelle -

http://definitions-de-psychologie.psyblogs.net/2017/01/memoire-iconique-visuelle.html) « fonctionne comme une mémoire tampon (buffer) pour le reste du système ». De plus, Sperling montre que la mémoire iconique est apte à enregistrer une grande capacité d’informations mais dans un laps de temps très restreint. Ces études permettent de dépasser le paradigme classant les « objets de la psychologie » soit comme étant exclusivement accessibles par l’introspection, soit comme étant uniquement mis en évidence par « les comportements ».

Dans l’acception courante, l’introspection s’entend comme « se regarder de l’intérieur », « faire un travail sur soi », « s’observer, s’analyser pour acquérir une meilleure connaissance de soi-même ». Cette conception du « psychisme entendu comme une entité ensevelie quelque part au sein du cerveau » fait autorité encore de nos jours dans les milieux de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie. Vincent Descombes est philosophe et dans les années 80, il jette les bases d’une « nouvelle théorie de l’esprit » menant à une « philosophie des sciences humaines ». Les travaux de Descombes fondés sur plusieurs « conceptions de l’esprit » mettent l’accent sur : l’opposition intérieur-extérieur et l’opposition montré-caché. Toutefois, nous allons nous pencher sur les conceptions de Freud, Lacan et Schotte et montrer que ces trois auteurs ne s’inscrivent pas dans la continuité de cette « double polarité supposée primitive » et postulée par Descombes.

Chez Freud, la notion d’appareil psychique apparaît dès 1895 dans le texte L’esquisse pour une psychologie scientifique. Dans cet article, le système nerveux des neurones est décrit comme « le support du psychisme ». « L’inconscient apparait comme l’ensemble des traces mnésiques auxquelles l’accès à la conscience est barré par le préconscient » (Feys, 2016). L’inscription de l’inconscient dans l’intra-psychique est actée après l’élaboration de la 2ème topique.

Dans l’article de 1915 « L’inconscient », Freud différencie la « topique psychique » de l’ « anatomie » en la localisant dans le corps et en la reliant avec « des régions de l’appareil animique », c’est à dire avec des régions en rapport avec l’âme. L’inconscient n’est plus du ressort de l’opposition intérieur-extérieur puisque l’ « état psychique » du patient reste inchangé si on lui fait part d’une « représentation jadis refoulée par lui » - Le refoulement demeure intacte -

Schotte (1928-2017), psychanalyste et psychiatre belge, s’est volontairement désintéressé du concept d’inconscient. Il attribue à Freud 2 « notions fondamentales » : la pulsion et le transfert. Il postule la fixité du conflit et l’évolution des « termes du conflit » : « pulsions sexuelles versus d’auto-conservation, Eros VS Thanatos ( Pulsions de vie VS Pulsions de mort). Chez Schotte, il y a une intentionnalité des pulsions qui est en lien avec la « phénoménologie ».

On peut faire une distinction entre les phénoménologues ( Brentano et Husserl ) pour lesquels la caractéristique essentielle de la conscience est l’intentionnalité (« être conscience de quelque chose ») et l’école de Wittgenstein et Anscombe pour qui l’intentionnalité n’est pas une caractéristique de la conscience mais « une spécificité de nos pratiques et de nos manières de concevoir la conscience ». Schotte postule que « le mental ne précède pas la pulsion et que l’esprit est inclus dans l’agir, dans l’action d’une pulsion qui ne provient pas de la conscience » ( Feys, 2016).

Lacan associe le « non-sens » à la notion d’inconscient, basant son argumentaire sur « l’absence du rapport de signification » - absence de signification qui est mise en relief avec « l’impossibilité, le rien et l’objet sous toutes ses formes » - Etant donné que la psychanalyse se situe au delà de la « perspective du rapport à la signification », Lacan va se servir du modèle des mathématiques qui ne fondent pas leurs bases sur « la réalité, sur la vérité » pour rapprocher la psychanalyse de ce modèle et démontrer que mathématiques comme psychanalyse assoient leur « pratique sur l’absence d’un rapport de signification et non sur son fondement ». Si l’on se positionne au regard de la psychiatrie et de la psychologie, l’inconscient ne peut pas être perçu comme « un concept substantiel et causal ». Il faut repenser la conception de l’esprit non plus comme « un flux interne de représentations » mais comme un « médium » utilisé dans le langage et la communication avec les autres.


Pour conclure, nous venons de voir que l’introspection n’est plus seulement un concept relié à des états mentaux fugitifs et intra-personnels; elle s’opérationnalise désormais pour intégrer la sphère des sciences telles que la psychologie expérimentale. De même, la psychanalyse du point de vue de Freud, Lacan et Schotte est reliée à un inconscient qui n’est pas synonyme de « réalité ou fantasmes occultes », enkysté dans le labyrinthe de la mémoire.


Bibliographie


  • Carruthers, P. ( 2009 ). How we know our own minds : the relationship between mind reading and meta-cognition. Behavioral and Brain sciences, ( 32 ), 121-182.

  • Feys, J. ( 2016 ). Le lien de l’esprit chez Freud, Schotte et Lacan. L’information psychiatrique,

92 ( 9 ). 773-779.

  • Sackur, J. ( 2009 ). L’introspection en psychologie expérimentale. Revue d’histoire des sciences, 62 (2), 349- 372.

  • Shoemaker, S. ( 1994 ). Self-knowledge and « inner sense ». Philosophy and Phenomenological Research, 44(2), 249-314.



423 vues0 commentaire
bottom of page