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  • Photo du rédacteurAnouchka

La vie : ce grand bonheur suspendu sur le fil d'une éternelle âme d'enfant


Dans son ouvrage Et si le bonheur vous tombait dessus, le psychologue Daniel Todd Gilbert qui enseigne au Harvard College de Harvard University nous apprend que des études scientifiques confirment que lorsqu’on rêve à l’avenir, nous avons tendance à nous imaginer prêt à atteindre notre but et non pas échouant lamentablement. Nous anticipons le plaisir, le bonheur de la réussite, bref nous aimons naturellement batifoler dans un avenir synonyme de lendemains heureux. Les philosophes ont été les premiers à problématiser le bonheur avant que les psychologues et les scientifiques n’en fassent un sujet d’études. Le bonheur est sans contexte l’objet de convoitise de tout un chacun. Il est sans doute délicat d’être heureux mais tout aussi hasardeux de vouloir ne pas l’être. Mais ce bonheur tant espéré, quel est-il? Il est par trop souvent assimilé à un simulacre de bonheur, à un succédané de plaisirs procurant des petits bonheurs immédiats et inconsistants. Le bonheur est une notion indissociable du sens de la vie. Et dans ce sens, il est au fondement même du tragique de la vie puisqu’il y a un balancier qui oscille entre le bien-être, le désir d’avoir conscience de vivre agréablement et d’autre part cette certitude qui nous habite depuis notre naissance de notre condition de morituri, c’est à dire de « Qui-vont-mourir ». Il réside donc dans le bonheur cette promesse tragique d’une bulle hors du temps, d’un espace d’éternité, d’une parenthèse enchantée.


La définition du dictionnaire nous décrit le bonheur comme étant « l’état de la conscience pleinement satisfaite »; si l’on décortique celle-ci, il ressort trois termes fondamentaux :

  • la satisfaction : le bonheur renferme une dimension hédoniste qui nous permet de satisfaire nos besoins et nos désirs. Il nous appartient d’ouvrir un espace pour accueillir les « petits bonheurs » de tous les instants comme une mosaïque de bonheur qui viendrait ouvrir la voix à de plus grands bonheurs

  • La plénitude : rentrer en symbiose avec l’instant présent. Se connecter pleinement à ce moment proche du divin. La douleur lézarde la terre asséchée tandis que le bonheur fait jaillir une oasis au milieu du désert.

  • La conscience : le bonheur n’est jamais très loin mais il est de notre ressort de savoir le percevoir. La conscience est un diptyque qui nous attire d’un côté telle la Gorgone vers une plénitude du bonheur et sur un autre volet nous rappelle le tragique de cette vie qui nous catapulte vers le paroxysme marqué du sceau du facteur essentiel de la vie.

Beaucoup d’études démontrent que le sentiment de bonheur n’est pas sous-jacent à un immense bonheur synonyme de « plus que parfait » mais plutôt à « une fréquence et une répétition de petits états d’âme agréables » (André, 2010). Mais comment pourrions-nous ignorer que bonheur et tragique sont imbriqués l’un dans l’autre et ne pas admettre par là que le bonheur est sans doute en lien étroit avec la spiritualité c’est à dire avec la volonté de donner sens à la vie.

Les ressentis négatifs mettent en exergue les états d’âme positifs; en effet, c’est bien la comparaison des moments malheureux qui nous permet de nous sentir à d’autres moments heureux. Prendre une douche chaude avec l’eau courante n’est pas un bonheur en soi puisque cela fait partie de notre quotidien. Mais prendre une douche après un trek dans le désert et plusieurs jours sans pouvoir se laver devient non seulement un vrai bonheur voire un privilège ou un luxe. Damasio dans son ouvrage Spinoza avait raison (Paris, Odile Jacob, 2003) nous rappelle que le philosophe préconisait pour notre salut ce type d’exercice : « Spinoza recommande la répétition mentale des stimuli émotionnels négatifs afin de développer la tolérance aux émotions négatives ». Il peut être très judicieux de porter un regard critique sur nos expériences négatives afin de nous permettre de les relativiser pour mieux les accepter voire les dépasser tout en apportant une lumière nouvelle sur nos expériences positives actuelles.

Il existe d’excellentes raisons d’acceptation de la dimension tragique du bonheur : la première est le caractère éphémère du bonheur - ce qui ne veut pas dire que nous devons pour autant y renoncer par peur qu’il ne nous soit retiré - et d’autre part, si la vie comme le monde sont porteurs de tragique, cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas sourire justement pour dédramatiser et retrouver une forme de légèreté qui redonne à la vie toute sa saveur. Clément Rosset (Le monde et ses remèdes, Paris, PUF, 1964) affirmait : « Tout l’acquiescement au réel est dans ce mélange de lucidité et de joie qui est le sentiment tragique (…) seul dispensateur du réel, et seul dispensateur de la force capable de l’assumer qui est la joie ». Le bonheur n’est pas accroché aux étoiles d’un monde exclusivement joyeux. Il est l’étoile de notre intériorité, une intériorité vivante qui oscille entre états d’âme douloureux et états d’âme heureux, les premiers étant les faire-valoir des seconds.


« Ne cherche pas à ce que les évènements se passent comme tu le désires mais désire qu’ils se passent comme ils le font, et la vie sera agréable », préconisait Epictète. Si Epictète et Bouddha enseignaient cette sagesse ancienne d’appréhender le bonheur comme une intériorité et d’apprendre à interrompre nos liens avec les attaches matérielles dans le but de ne pas ressentir l’influence de leur perte, des recherches récentes en psychologie montrent que certains facteurs du bonheur pourraient se loger en partie dans des éléments extérieurs (Haidt, 2010).

Lorsque nous nous acheminons vers un objectif, nous extrapolons le fait que nous ressentirons beaucoup de plaisir à toucher à notre but le moment venu. En 1994, le psychologue Richard Davidson a découvert les styles affectifs et les circuits d’approche du cortex frontal gauche. Il a décrit deux types d’affects positifs : « les affects positifs précédant l’atteinte du but » et les « affects positifs suivant l’atteinte du but » qui représentent le contentement, le soulagement que l’on ressent quand le cortex frontal gauche diminue son activité une fois l’atteinte du but avérée (Haidt, 2010). S’acheminer, progresser vers un objectif, voilà ce qui nous fait ressentir du plaisir, c’est ce que l’on nomme « le principe du progrès ». Cette sublime citation tirée de Troilus et Cressida ( traduction de François Victor Hugo dans Oeuvres complètes, volume 2, Comédies-Tragédies. France. Editions Gallimard. Collection La Pléiade (NdT) ) : « L’âme du bonheur meurt dans la jouissance » nous prouve combien Shakespeare avait déjà balisé cette notion.

Si de récentes recherches montrent que les gênes occupent une plus large part de l’homme que ce que l’on avait envisagé, il a été démontré que ces mêmes gênes sont sensibles aux conditions environnementales (Marcus, 2004). S’il a été prouvé que chacun et chacune a un « niveau caractéristique de bonheur », il semblerait que celui-ci ressemble plus à un intervalle qu’à un point précis (Haidt, 2010). En outre, les facteurs qui vous permettent de vous situer en bas ou en haut de cet intervalle auraient probablement pu être rangés dans la catégorie des facteurs externes selon Bouddha ou Epictète. Rappelons à toute fins utiles que la « formule du bonheur » ainsi nommée par Lyubomirsky, Schkade et Seligman, le fondateur de la psychologie positive, se décline de la façon suivante : B = N+C+A - B représentant le niveau de bonheur ressenti qui est déterminé par N = niveau biologique du bonheur + C = les conditions de vie + A = activités volontaires entreprises -

Or , il s’avère que certaines conditions de vie extérieures sont importantes et ont un impact sur notre bonheur, c’est la raison pour laquelle il vaut la peine de se battre pour rendre notre bonheur plus durable mais aussi plus intense.

Il s’agit :

  • Du bruit : des études montrent que si nous parvenons à nous adapter à certains bruits, cette adaptation n’est pas sans conséquence puisqu’elle provoquerait « une perte de performance dans les tâches cognitives ». En outre, un bruit variable ou intermittent serait une gêne à la concentration et augmenterait le stress (Glass et Singer, 1972).

  • Faire la navette : effectuer quotidiennement des trajets longs parsemés de bouchons pour se rendre au travail entraînerait une augmentation de l’hormone du stress.

  • Manque de contrôle : une étude de Glass et Singer (1972) a montré que ce qui rend le bruit du trafic insupportable est le fait avéré que l’on se montre incapable de le contrôler

  • La honte : une autre étude de Reis et Gable (2003) a révélé que les personnes qui améliorent leur apparence physique, augmentent durablement leur bonheur.

  • Les relations : si Meyers (2000) et Seligman (2002) ont montré que les relations personnelles représentent une condition de vie importante, cette étude est à nuancer, car Lyubomirsky, King et Diener (2005) ont apporté la preuve que les conflits interpersonnels sont une source importante de mal-être et gâchent le bonheur. Même les jours où l’on ne côtoie pas ces personnes, source de conflit, nous ruminons clairement au sujet dudit conflit.


Mais si nous pouvons éviter des conflits éprouvants tout autant qu’inutiles, cela n’empêche pas la vie d’être difficile. L’être humain qui veut se sentir véritablement vivant et non pas mort-vivant préfèrera mener une vie âpre mais bien réelle à une vie aisée mais dépouillée de son caractère vrai, réel. Il s’agit bien d’une lutte incessante et qui pourrait s’avérer être une douleur de tous les instants; cette lutte pour le libre arbitre, pour la défense d’idées souvent « à contre-courant » est celle des artistes engagés, des philosophes ou encore des mystiques (Vergely, 2006). Deleuze reprenant Nietzsche a donné cette définition, sans doute une des plus judicieuses au sujet de la philosophie en affirmant que : « Philosopher , c’est nuire à la bêtise ». Ce grand contentement intérieur que l’on éprouve lorsque l’on tient tête aux autres, à ceux qui ne partagent pas nos idées, Spinoza l’a nommé joie, terme qu’il différencie bien du plaisir. L’atteinte de cet état est pour celui qui le ressent une forme totale d’indépendance intellectuelle mais aussi physique qui porte l’homme à s’élever tout en admettant - comme Socrate dans le Gorgias - qu’il est plus honorable de subir l’injustice plutôt que de la commettre en s’exposant à devenir un tyran, esclave de ses passions. Dès lors, suivre la voie de l’intériorité , marcher hors des sentiers battus confère à l’homme une authentique liberté et compense l’immense solitude vécue.


Il semble par conséquent logique de comprendre que la conquête de la liberté intérieure est une voie ardue et solitaire mais qui mène tout droit à une grande joie qui dépasse la dualité de la vie et de la mort. La joie palpite dans l’anamnèse de l’éternité. Cela nous conduit sans doute à adhérer en une croyance en la vie qui ne pourrait nous abandonner, elle qui nous traverse de part en part, et nous rend si vivants. En plaçant l’éternité au coeur du temps, Spinoza nous incite à éprouver le fait que nous puissions être éternels. Nous sommes tous des êtres uniques et cet état nous permet d’affirmer que notre présence au monde trouve ainsi une raison d’exister et d’advenir à nous-mêmes. Nietzsche en adressant un grand oui à la vie, qui n’est autre qu’une « joie tragique » transcende la joie en lui attribuant le statut d’ « état de la vie » selon les termes de Vergely (2006). La vie est ainsi légèreté et se balance comme un funambule suspendu sur le fil d’une éternelle âme d’enfant.


Bibliographie


  • André, A. (2010). Le bonheur : nécessaire et tragique : Plaidoyer pour une quête raisonnable. Dans : René Frydman éd., Recherche bonheur désespérément. (pp. 133-146). Paris cedex 14, France : Presses Universitaires de France.

  • Haidt, J. (2010). Chapitre 5. A la recherche du bonheur. Dans :, J. Haidt, L’hypothèse du bonheur : la redécouverte de la sagesse ancienne dans la science contemporaine (pp.103-130). Wavre, Belgique : Mardraga.

  • Vergely, B. (2006). Penser le bonheur. Le Philosophoire, 1(1), 67-76.

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