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  • Photo du rédacteurAnouchka

La Sérendipité : union de l'inattendu et de la créativité


Le mot « sérendipité » terme qui au premier abord semble difficile à prononcer est défini par Daniel Bourcier, chercheuse au CNRS comme « un don de faire des trouvailles ou la faculté de découvrir, d’inventer ou créer ce qui n’était pas recherché ». (cf Article : « Vous avez dit « Sérendipité »?, revue L’histoire). Bien implanté dans le monde anglo-saxon ( serendipity) et en Italie (serendipità), l’écrivain et sémiologue Humberto Eco en fait un usage fréquent et pour le relayer lui a consacré un essai paru en anglais, en 1998 à New York sous le titre : Serendipities. Language and Lunacy. Le film Le Nom de la Rose fonde une bonne partie de son intrigue sur le fait de creuser l’exploration d’indices supposés découverts fortuitement. La France prendra plus de temps à mettre ce terme à l’honneur. En 2009, le mot sérendipité sera élevé au rang de mot de l’année par la Revue Sciences Humaines. Nous commencerons cet article en parlant des origines du terme qui remontent à un conte persan Pérégrinations de trois fils de Serendip , d’Amir Khusrow Dehlavi. Dans une seconde partie, nous tenterons de cerner les différents aspects de ce terme, abordant les types et degrés de sérendipité, pour le hisser à la hauteur d’un concept. En troisième partie, nous évaluerons la possibilité d’une sérendipité dans la vie quotidienne.


Le poète de langue persane Amir Khosrow Dehlavi (1253-1325) a écrit ce conte Périgrinations de trois fils de Serendip, précédé de légendes arabes dans son recueil Hasht Bihist ( Les Huit paradis écrit en 1302 ). L’histoire de ce conte raconte le renvoi des trois fils du roi Serendip - mot persan pour Ceylan, aujourd’hui Sri Lanka, Île au sud est de l’Inde - lorsqu’ils refusent de lui succéder. Sommés de quitter le royaume, ils décident de partir à pied pour explorer le monde. Ce périple sera pour eux l’opportunité de mettre à profit leur « capacité d’observation et de déduction face aux découvertes jalonnant leur chemin » (Calvez, 2013) : « Tout en marchant, un des frères observa des colonnes de fourmis ramassant de la nourriture. De l’autre côté, un essaim d’abeilles, de mouches et de guêpes s’activait autour d’une substance transparente et collante. Il en déduisit que le chameau était chargé d’un côté de beurre et de l’autre de miel. Le deuxième frère découvrit les signes de quelqu’un qui s’était accroupi. Il trouva aussi l’empreinte d’un petit pied humain auprès d’une flaque humide. Il toucha cet endroit mouillé et il fut aussitôt envahi d’un certain désir. Il en conclut qu’il y avait une femme sur le chameau et pas un homme. Le troisième frère remarqua les empreintes des mains, là où elle s’était accroupie. Il supposa que la femme était enceinte car elle avait utilisé ses mains pour se relever » (Van Andel, Bourcier, p.21, trad du persan original).

En 1754, l’écrivain anglais Horace Walpole forgea le mot « Serendipity » en s’appuyant sur une version anglaise du conte persan. Il profite d’une lettre éditée en 1833, à l’attention de Horace Mann pour mettre en exergue le fait que les princes de Serendip faisaient des découvertes « par accident et sagacité » de ce qu’ils ne cherchaient pas. C’est à cette époque que le mot commença à capitaliser une renommée relative dans le monde scientifique anglo-saxon.

Le terme « Serendipity » fait son apparition dans les sciences humaines sous l’impulsion du sociologue américain Robert K. Merton en 1949. Au génie du chercheur capable de faire des découvertes inattendues, il adjoint l’aptitude de celui-ci à faire découler de cette trouvaille un « raisonnement scientifique » fiable par déduction - ou abduction : terme employé par les logiciens - Il s’agit de faire découler une hypothèse ou une théorie de l’étude des faits.

Il est à noter que la même année, en 1949, Sir Alexander Fleming, inventeur de la pénicilline véhiculera le terme afin de mettre en exergue l’importance pour le chercheur de rester libre au regard de ses commanditaires. Parallèlement, le mot « Serendipity » sera mentionné cette même année à trois reprises dans la presse et plus précisément dans le New York Times.

Selon Sylvie Cattelin, le terme prendra une « place de plus en plus importante » en France au sein des débats qui opposent science « libre » et science « dirigée » (Henguet, 2017).

Pour poursuivre une définition du terme de sérendipité, selon Calvez (2013), on peut ajouter qu’elle ne pourra se manifester que si et seulement si la rencontre de cinq éléments incontournables a lieu, à savoir :

  • Accident

  • Sagacité

  • Observation

  • Motivation

  • Micro-environnement

Pour Sherlock Holmes : « L’improbable peut être vrai ». Sa méthode est par ailleurs très proche de celle du chercheur curieux qui oeuvre pour être à l’écoute de l’inattendu, de l’imprévu. Louis Pasteur pointe du doigt le fait que la chance ne peut servir que « des esprits préparés » selon sa propre expression.

Plus récemment, R.K Merton et E.G Barber, en 2004 définissent la sérendipité comme : « La découverte par chance ou sagacité de résultats pertinents que l’on ne cherchait pas. Elle se rapporte au fait assez courant d’observer une donnée inattendue, aberrante et capitale ( Stratégie ) qui donne l’occasion de développer une nouvelle théorie existante ».

Plus récemment, en 2012, le mot sérendipité fera son entrée dans le Larousse (De Rond, 2011).


Afin de tenter d’élever la sérendipité au rang de concept, nous allons aborder les types et degrés possibles de sérendipité car il n’existe pas de typologie dites officielle.

Selon Royston Roberts (1989), il existe deux formes de sérendipité :

  • Sérendipité qui amène un chercheur à faire une découverte par un heureux hasard, par erreur ou en étant attentif à une observation inattendue alors même qu’il n’était nullement dans une optique de recherche initialement.

  • Sérendipité appelée pseudo-sérendipité par laquelle un inventeur va parvenir à découvrir ce qu’il cherchait mais par un moyen totalement inattendu.

Quant à Thagard et collaborateurs, ils dénombrent trois formes de sérendipité :

  • Première forme : est une définition étendue de celle de Roberts puisqu’il s’agit d’inclure la trouvaille et non pas de se limiter à l’invention

  • Seconde forme : est une reprise de la définition de Roberts

  • Troisième forme : inclut la recherche de quelque chose qui conduit à une découverte, une invention dont l’application sera différente de ce pourquoi on avait initié la recherche. Le post-it en est un exemple: il résulte d’un heureux concours de circonstances entre un point de départ sans rapport avec la future invention et une « combinaison créative et favorable » ( Calvez, 2013).

Mais il est parfois difficile de faire valoir une découverte issue du phénomène de sérendipité en raison notamment des « contraintes liées aux budgets, aux carrières, aux dogmes sur les méthodes scientifiques et/ou à la vanité du chercheur » ( Van Andel et Bourcier, op.cit. p.93). De même, on peut citer la notion de Sérendipité impuissante, avortée ou contrariée (Calvez, 2013) faisant référence aux nombreuses tentatives des inventeurs dans le but de convaincre leur hiérarchie de l’utilité de la future application de leur invention qui tombera dans le domaine des oubliettes ou trouvera une application dans un autre contexte.

Mais la chance est-elle totalement un facteur cause de la sérendipité? Et doit-on miser les découvertes de génie sur un lancé de dés dont les probabilités sont innombrables mais le résultat de lancé plus qu’incertain?

Weisenfeld (2009) attire notre attention sur le fait qu’un phénomène sort du cadre d’un contexte ordinaire et devient en conséquence ce qu’on peut nommer un hasard que si et seulement si un individu doté d’une faculté aiguisée d’observation le considère comme tel. Si ce n’est pas le cas, alors il ne demeurera rien d’autre qu’un accident. D’autre part, il met l’accent sur un point essentiel : l’individu doit faire preuve d’une capacité d’analyse et de compréhension de la situation. Il s’agit par conséquent de convoquer en même temps « un individu visionnaire et un accident adéquat ». Ce qui nous amène donc à reconsidérer le facteur chance et à le relativiser puisque dans cette optique, elle serait susceptible de se travailler.


Si l’on peut tenter un rapprochement avec la vie quotidienne au regard de ce phénomène de sérendipité, je dirais que notre rôle est dans un sens de ne pas uniquement nous focaliser sur les buts et objectifs, oubliant ainsi le ou les moyens d’y parvenir. La vie est tout sauf prévisible et l’inattendu, le surgissement sont des éléments moteur du changement. Si nous restons à l’écoute de ces moments de l’inattendu, notre vie peut prendre une toute autre envolée. Nous sommes tous des êtres uniques et c’est sans doute une des raisons de notre présence au monde, ce qui signifie aussi que nos idées, notre regard sur le monde est unique, c’est en ce sens que l’imagination, la création d’un univers, d’un équilibre qui nous colle à la peau est à même d’être imaginé, créer ou re-crée par nos soins. Ce qui ne signifie pas « vivre en dehors de l’humanité » mais plutôt cohabiter avec cette humanité. Les expériences douloureuses sont aussi des créations uniques puisque chacun appréhende la douleur de manière différente et ce surgissement de la douleur entre aussi dans le cadre du champ de la création puisqu’il nous appartient d’élaborer, d’imaginer la meilleure manière, la plus adaptée pour nous-mêmes de façonner la vie qui sera la nôtre durant la traversée du « naufrage ». Pour prendre un exemple, en dépit du fait que certaines recettes puissent être préconisées, il n’y pas de remède miracle à la dépression. Il appartient à chacun de trouver les ingrédients qui vont créer ou re-céer un nouvel équilibre, propre à chacun. En cherchant comment on pourrait être plus heureux, il se pourrait qu’on découvre de manière fortuite, à minima, une manière de vivre en étant moins malheureux, ce qui est déjà un premier pas.


Pour conclure, et revenir à la sérendipité, Sylvie Catellin souligne l’importance de reconnaître sa « centralité dans les processus de découverte et d’invention », cela implique de « prendre en compte la part de subjectivité, d’imagination, d’inconscient dans la production des savoirs, imagination appréhendée non pas comme un obstacle à la raison - ce qui a contribué à développer le mythe de l’objectivité pure - mais au contraire comme une ressource, une compétence humaine forgée par l’éducation et la culture, l’expérience accumulée et la réflexivité » (P.166).

Il en découle que les processus de recrutement dans les entreprises devront sans doute être modifié pour se diriger vers d’une part des profils IST - à savoir : des individus introvertis, basant leur connaissance sur des critères logiques et sur l’expérience - et des profils ENTP ( extraversion, intuition, thinking perception), décrit comme des inventeurs, chercheurs, innovateurs. Ce rééquilibrage passera par un effort de la part des dirigeants dans le sens où ils sont souvent réticents à embaucher des profils ENTP jugés comme « difficiles à gérer » (Swinners et Briet, 2004).


Bibliographie


  • (2012). Vous avez dit « Sérendipité »?. L’Histoire, 375(5), 28-28.

  • Calvez, V. (2013). Les paradoxes de la sérendipité dans les organisations. Humanisme et Entreprise, 313(3), 87-104.

  • Heuguet, G. (2017). Sérendipité. Du conte au concept : Sylvie Cattelin, Paris, Seuil, coll. « Science ouverte », 2014, 272 p.Communication et langages, 192(2), 160-162.

  • Saussois, J. (2017). C’est quoi la Sérendipité : Daniel Bourcier et Pek Van Andel. Le courrier du Livre, avril 2017, ISBN 978-2-7029-1806-7. Revue française de gestion, 267(6)-149-152.

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