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  • Photo du rédacteurAnouchka

La solitude : un voyage de soi à soi sur l'océan de l'Humanité


Un sondage auprès des français a démontré la valeur lourde de sens de la solitude auprès de nos concitoyens. En effet, 91% des personnes sondées s’accordent à dire que la solitude touche un grand nombre de personnes, 78% pensent que ce problème de solitude est en constante croissance, 35% se déclarent craindre la solitude pour leur avenir et 30% se réclament être directement concernés et en souffrance. Autour de la notion de solitude, force est de constater que les définitions ne sont pas précises et cela est dû à « l’indétermination de son objet ». La solitude est souvent rattachée à des domaines plus que variés tels que : l’adolescence, la vieillesse, l’exclusion, le handicap, le chômage, le célibat, la précarité, l’usage d’internet et des jeux en ligne ( en lien avec l’addiction )…. Mark Richter, en 1981 a porté le terme de solitude au rang d’ « idiome de détresse », ce qui signifie qu’il s’agit pour la société d’une façon « propre à son époque » de l’expression d’une souffrance aussi bien pour soi-même que pour les autres.


La meilleure expression de la solitude est sans doute celle des enfants déprimés qui la ressentent comme une immense difficulté à entrer en contact avec leurs pairs et s’isolent dans les cours de récréation. Cette solitude et cette « pauvreté des relations sociales » sont en effet deux signes diagnostiques inscrits dans la classification nosographique de la dépression infantile. Selon Dupont, en 2010, cette difficulté à entrer en contact avec l’autre serait la résultante d’une carence affective dans la petite enfance en lien avec l’attachement entre l’enfant et ses figures affectives. L’enfant n’aurait pas bénéficié suffisamment de la fonction contenante au sens entendu par Bion de « capacité de rêverie », c’est à dire la capacité du parent à donner un sens aux « émotions, ressentis et vécus psychiques de l’enfant » (Dupont, 2010).

La seconde dimension de la fonction contenante est celle par laquelle l’enfant n’ a pu assoir une aptitude suffisante pour résister à ses « fantasmes agressifs ». Il s’agit pour Mélanie Klein de la position dépressive que l’enfant n’aurait pas pu constituer - ce qui signifie que cette solitude pour l’enfant est due à sa certitude d’être face à « l’absence d’un objet interne consistent, stable auquel il peut croire » - André Green en 1982, montre comment le sujet « arrêté dans sa capacité à aimer » se retrouve « sous l’emprise d’une mère morte » et dans l’obligation d’aspirer à l’autonomie. De redoutée, la solitude devient alors un exutoire. « Le sujet se nide, devient sa propre mère mais demeure prisonnier de son économie de survie » (Green, 1982).

Marcel Proust, dans son livre La recherche du temps perdu ( La Pléiade, III, 1988, p 450) insiste sur le fait que : « L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connait les autres qu’en soi, et en disant le contraire ment ». Il en résulte que l’on ne peut exister en tant qu’individu que si et seulement si l’on embrasse une « conscience solitaire » et cela en dépit du fait qu’elle peut se vivre sur le mode d’un calvaire voire d’un véritable « fléau ».

Si l’on se penche sur la conception philosophique de la solitude et plus particulièrement sur celle de Heidegger et avec lui sur la phénoménologie de Sartre et de Merleau-Ponty : même si la solitude est ressentie sur « le mode » de la carence, elle ne peut se dissocier de la relation que nous entretenons avec Autrui : « L’Être-seul est un mode déficient de l’Être-avec, sa possibilité est la preuve de celle-ci » (Sein und Zeit, §9, 44). Le Dasein sous-entend le lien que nous entretenons avec Autrui. La séparation est obligatoirement précédée par l’ « expérience de la relation ». Il en découle que l’essence même de la solitude est d’être « sociale ». Dès lors, il n’existe pas d’êtres enfermés dans une bulle solitaire en tant qu’elle serait posée comme une valeur absolue. Levinas argumente sur le postulat que tout est échangeable entre les êtres à l’exception de l’état d’ « exister ». L’homme est « monade » parce qu’il est. La solitude revêt un sens ontologique pour Levinas - elle est dans ce sens « originelle » et indissociable de l’ « existant ». Il en découle que dans cette perspective, la solitude n’est plus une relation à l’autre, mais bien « une relation exclusive à soi ».


Mais est-on réellement à certains moments de notre existence seul avec nous-mêmes?

Nous vivons à l’ère de la société de communication : la télévision, les forums, les « lieux de tchatch », le téléphone portable consulté à tous moments et en tous lieux. Cela est autant de preuves que nous sommes rarement seuls avec nous-mêmes. Riesmann dans son livre La foule solitaire (1964, éditions Artaud) nous parle aux Etats Unis de cette « foule solitaire » qui n’est autre que celle rencontrée dans les métros, les trains, le vacarme de la rue et des grandes surfaces… L’expérience relatée par une patiente du Docteur Fabre me semble révélatrice de notre « peur » de l’autre : il s’agit d’une patiente qui avait déménagé dans un grand bloc d’immeuble et avait déposé des petits mots dans les boîtes aux lettres des 86 autres foyers et qui relate qu’un seul des foyers avait répondu présent à cette invitation.

Cette solitude, nous la redoutons autant que nous la recherchons : nous nous plongeons dans la foule comme pour être happé, absorbé par celle-ci, à en disparaitre presque ou alors, par peur d’être rejeté par l’Autre, nous nous replions à l’intérieur de nous-mêmes, fuyant « la proximité ». Mais il y a sans doute aussi ce sentiment récurrent de cette impossibilité à communiquer dans le rapport à l’autre : naître, souffrir, mourir - autant d’actions au vécu solitaire et incommunicable - Bien entendu, on peut décliner la solitude sur un mode positif en tant qu’elle peut être une voix vers la transformation - l’exemple de Jean Zay raconté dans son journal écrit en prison et ressorti grandi de ce face à face avec la solitude ou encore les vies monastiques ou les personnes participant à des retraites spirituelles - Dans cette optique, il est alors légitime de s’interroger sur la question de savoir si il n’y aurait pas une « bonne » et une « mauvaise » solitude. De fait, on peut différencier : l’esseulement de la solitude.

Être esseulé, c’est « être abandonné, tenu à l’écart, laissé seul » ( https://www.larousse.fr), tandis que la solitude se définit comme « un état de quelqu’un qui est seul momentanément ou habituellement » (https://www.larousse.fr) et pourrait être considérée comme un choix délibéré conduire à un « état positif » en soi. Nicolas Fabre différencie trois types d’esseulés sur la base de « vécus de solitude » différents :

  • Esseulé qui souhaiterait aller vers l’autre mais ne peut ni ne sait établir le contact

  • Esseulé rejeté ou abandonné

  • Esseulé endeuillé

La solitude ne peut se vivre positivement que si et seulement si on a déjà expérimenté le lien à l’autre et vice et versa, il est impossible de tisser de « vrais liens » si l’on est en incapacité de rester seul.

Vécue sur le mode dramatique, la solitude de l’abandonné est traversée par « la figure cruelle de l’amour ou du parent rejetant » - elle se décline sur un tableau clinique d’incessantes pensées dépressives, de repliement sur soi et de dévalorisation massive de soi - Chez l’abandonné et le rejeté, la perte se teinte de « cruauté du mauvais objet vécu comme tout puissant ». L’impuissance est à la source de la « douleur réactivée » mais elle se mue souvent en « désir de vengeance », désir qui confère « la toute puissance retrouvée » pour l’heure. L’abandonné est victime d’une blessure narcissique provoquant une régression qui le ramène au temps de sa constitution en tant que sujet.

Quant à l’endeuillé, il peut arriver qu’il vive des moments similaires à ceux de l’abandonné, mais c’est plutôt le « sentiment de perte irrémédiable » qui le submerge - sa « reconstruction » passera par une immersion dans la solitude -

Si la solitude comme nous venons de le voir renvoie à une profonde souffrance de l’homme en tant qu’il se sent « isolé », cette notion fait aussi référence à « l’idéal individualiste d’autonomie du sujet » ( Dupont, 2013) - un homme qui possède un libre arbitre, est à même de faire ses choix -

La solitude est aussi la marque d’un « état d’être », à savoir une façon de prouver son originalité face à une foule conformiste, une nécessité pour le créateur, une planète solitaire pour l’homme de génie, la star. Ainsi, la solitude peut constituer un indicateur des « pires stigmates » de notre société ( marginalité, lacune de reconnaissance, échec d’intégration sociale…) tout comme elle est aussi la marque d’une forme suprême d’autonomie (libre arbitre, capacité à faire se propres choix, à prendre des décisions).

Si l’on se penche sur la théorie sociologique, « la dialectique de la solitude » peut trouver une résonance dans l’opposition proposée par David Riesman (La foule solitaire, Artaud, 1964, p 316) entre autonomie et anomie :

  • L’Autonome : est celui qui tout en restant en conformité avec les normes de la société conserve son libre arbitre qui lui permet d’adopter un comportement en accord ou en désaccord avec les normes de la société.

  • L’Anomique : est un individu qui n’a pas la faculté de se conformer aux normes de la société dont il fait partie.


Ainsi, nous comprenons tout l’enjeu de cette tension qui réside pour chaque individu entre un conformisme social exacerbé et l’Anomie, sur fond d’épanouissement et de vie pleine. Cette problématique éthique peut s’entre-mêler avec une problématique psychologique et conduire dans certains cas à un repli défensif du sentiment de solitude qui peut se muer en « sentiment d’autosuffisance : je n’ai besoin de personne » ou de retrait de type paranoïaque : « je suis seul contre tous » ou encore de Misanthropie : « Je suis seul au milieu d’une humanité méprisable ».

Chaque individu est donc selon l’expression de Winnicott amené à cultiver sa « capacité d’être seul en présence d’autrui » (Winnicott, 1958).


Bibliographie


  • Dupont, S. La solitude, condition de l’individu contemporain. Le débat, 174 (2), 130-145.

  • (2010). Solitude psychologique, mécanismes de défense et symptômes. Dans : S. Dupont, Seul parmi les autres : le sentiment de solitude chez l’enfant et l’adolescent ( pp. 211-264), Toulouse, France : ERES.

  • Fabre, N. (2007). Solitude, Solitudes. Imaginaire et Inconscient, 20 (2), 7-14.

  • Perrin, C. (2009). Levinas et l’autre solitude. Philosophie, 102 (3), 45-62.


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