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  • Photo du rédacteurAnouchka

Hikikomori : une conduite et des "Momies-vivantes".


Le terme Hikikomori vient de Hiku, « reculer » et de Komori, « entrer à l’intérieur, ne plus sortir ».

Le terme de Hikikomori revêt une double acception puisqu’il désigne à la fois « la condition et la personne » faisant l’expérience de cette condition. Le Hikikomori est une conduite plutôt qu’une pathologie même si dans certains cas, il peut comporter une intrication de syndrome pathologique tel que le syndrome autistique par exemple.

En 1998, le psychiatre Tamaki Saito publie un livre Shakaiteki Hikikomori : Owaranai Shinshunki,

Ce qui signifie « Retrait social, une adolescence qui n’en finit pas », livre qui deviendra un best seller et permettra de dévoiler ce concept jusqu’alors inconnu du grand public. Dans son livre, Tamaki Saito brosse un tableau des jeunes qui restent cloitrés chez eux durant plus de 6 mois, se tenant en retrait de la société - concernant ces jeunes, il est à noter que le tableau clinique de troubles psychiatriques ne pourraient être « la cause première de cette condition » - Nous aborderons tout d’abord cette conduite en tentant de la définir, de la cerner au mieux puis nous replacerons celle-ci dans son contexte socio-économique et politique et dans un troisième temps, nous chercherons la racine de ce « mal » plus particulièrement au Japon qui est le berceau de cette nouvelle conduite Hikikomori.


Le Ministère de l’éducation japonais admet la définition suivante : « le Hikikomori est un état dans lequel la personne jeune passe la majeure partie de son temps au domicile; ne peut ou ne veut pas avoir de vie sociale comme aller à l’école ou travailler; est dans cette situation depuis plus de 6 mois; n’a pas d’amis proches; n’a pas de pathologie psychotique ou de retard mental ». Dans la mesure où cette conduite a été jusqu’en 2010 isolée au seul territoire japonais et afin de tenir à distance un « culture bound syndrom », la recherche des Hikikomori hors des frontières japonaises a permis à Kato et collaborateurs, en 2011 de faire étudier deux vignettes cliniques « types » de Hikikomori à un panel de psychiatres et cela dans 9 pays différents. Les résultats de cette étude ont permis de valider la présence de Hikikomori dans d’autres pays que le Japon avec une prévalence de cas supérieure en zone urbaine par rapport aux zones rurales ainsi qu’une « absence de consensus ».

Il apparaît clairement qu’il s’agit pour le Hikikomori d’un retrait social mais qui interpèle par le comportement passif, silencieux tout autant que dénué de contenu colérique. Selon Fansten et Figueiredo (2015), il est possible de classer ce retrait suivant 3 types :

  • Le retrait alternatif : constituerait un retrait momentané permettant de vivre le temps de l’adolescence à l’abri des regards des autres et du sentiment de mal-être au contact des pairs dans le but de se forger une identité propre.

  • Le retrait réactionnel : serait une conduite utilisée par les adolescents de milieux socio-économiques défavorisés. Ces jeunes issus de familles dysfonctionnelles, maltraitantes ou violentes se mureraient dans ce retrait de façon défensive, utilisant internet et les jeux video sous leur forme addictive afin de s’incarner dans un avatar et de devenir enfin des « winner ».

  • Le retrait Chrysalide : est en lien direct avec une forme de burn out, une trop « forte pression accumulée » conduisant à anéantir toute motivation et à « stopper net tout investissement ».

Le retrait Chrysalide serait selon Furuhashi et Vellut (2014) celui qui décrirait le mieux la

conduite Hikikomori au Japon.


Il apparaît nécessaire de replacer dans son contexte socio économique et politique japonais cette conduite afin d’en comprendre les causes et enjeux. Dans les années 60 à 70, le Japon s’est hissé au rang de géant mondial sur le plan industriel - cette progression a été la résultante d’un tissu social japonais fortement soudé et solidaire - Les années 90 seront marquées par la fin de la « Golden Age » ( « décennie perdue ») et synonymes de difficultés à s’insérer sur le marché de l’emploi pour les jeunes diplômés; elles sonneront le glas d’une fin définitive en ce qui concernent la possibilité d’embrasser une carrière dans la même entreprise jusqu’à la retraite. Trouver un premier emploi va devenir un parcours du combattant engendrant une pression exacerbée par la collision entre cette jeunesse confrontée à une société japonaise « hypernormée et exigente » et des impératifs de réussite intriqués à un « enjeu narcissique » ainsi qu’à un diktat d’une société dans laquelle le mot échec ne rentre pas dans le vocabulaire « autorisé ». Cette période sera tatouée par une « explosion des Hikikomori ». En outre, la conduite Hikikomori me semble en lien étroit, dans le cadre de la psychologie sociale de Markus et Kitayama, concernant deux conceptions différentes du soi. Ces auteurs différencient :

  • Les sociétés occidentales qui favorisent une construction « indépendante du soi ». Il s’agit de se construire de façon autonome, suivant un libre arbitre de pensées et de ressentis.

  • Les sociétés non occidentales qui conçoivent l’individu comme un maillon interdépendant des autres, ce qui débouche sur une conduite « déterminée, contingente, de, et, pour une grande partie organisée par ce que l’acteur perçoit être les pensées, les sentiments et les actions des autres dans les relations ».

Arrêtons-nous sur la notion de Soi au Japon qui précisera cette relation intriquée aux autres : le Soi japonais s’exprime par le terme - Jibun - ce qui signifie littéralement ji (ma) et bun (part). Le Soi japonais puise son enracinement dans une construction indissociable des autres et intriqué dans « un espace vital partagé » ( Markus et Kitayama, 1991). En outre, les recherches phénoménologiques de Kimura en 1992 mettent l’accent sur la notion de aida - l’entre, l'être avec - dans la construction des liens interpersonnels. Ce retrait social volontairement opéré par les Hikikomori soulève la question de la notion du Self puisque pensée jusqu’alors dans des relations intersubjectives.

Le Docteur Hamasaki s’interroge sur l’incidence de ce retrait individuel et de ses répercussions au niveau de la société japonaise. En ce sens, la notion de Seken, en vigueur au Japon depuis le VII ème siècle signifie « l’espace entre le monde » et se définie comme « un réseau de relations sociales qui entourent un individu » ( Pionnier-Dax, 2014). Cette notion de Seken a une instance collective dont le jugeant est très assujettissant. En outre, Deux autres notions japonaises viennent s’ajouter me semble-t-il en tant que facteurs explicatifs de ce retrait social; il s’agit de l’Ijime et de l’Amae.

Ijime signifie « brimades et violences à l’école ». La formation des jeunes écoliers est centrée sur leur capacité à « lire l’ambiance », « sentir les vibrations ». Ils se doivent aussi de rentrer dans un moule conformiste et de s’intégrer au groupe. Le système ne permet pas d’ouverture au libre arbitre. L’enfant qui rédige un « nikki », équivalent d’un journal de bord emploiera un langage excluant toute « pensée déviante ». Si l’enfant se risque à sortir du rang, en adoptant une position différente de celle du groupe, il encoure des brimades (Ijime). Le Hikokomori est la résultante d’une incapacité à exprimer son mal-être qui se mue en « comportement de refus ou d’éviction ».

Quant à l’Amae, cette notion interroge la relation entre les parents et les enfants. La compréhension de la culture japonaise ne peut permettre de faire l’impasse sur la notion pivot que représente le Takeo Doi qui est le « sentiment d’attachement, de proximité émotionnelle » ( Pionnier-Dax, 2014).

Le terme Amae dérive du verbe amaeru qui signifie « se prévaloir de l’amour de quelqu’un ».; cette définition renferme à elle-seule la particularité de cette relation qui n’est pas réciproque et montre sa double exigence, d’un côté l’indulgence et de l’autre, l’obligation pour l’enfant de « se construire » afin de ne pas désappointer sa « figure d’Amae ». Cette relation fusionnelle est selon la culture japonaise une des clés de voute du bonheur et permet la construction première de l’intériorité à l’enfant.


Cette éducation très fusionnelle, ce rapport peut-être trop laxiste entre mère et fils en particuliers, cette conception de l’individu en tant que relié à l’autre dans une société interdépendante, cette quasi absence de libre arbitre ajoutés à une société qui n’admet pas l’échec sont sans doute des pistes de réflexion à l’émergence tout autant qu’à l’augmentation des cas de Hikikomori au Japon.

Mais si l’on se penche sur nos sociétés occidentales, d’autres facteurs causes rentrent en ligne de compte tels que des cas de maltraitance, d’abus sexuels, de violence à l’encontre des enfants, ainsi que des causes de surmenage au travail dans une société qui produit les nouveaux « esclaves des temps modernes », sorte de robots téléguidés dans la « société du toujours plus ». Cette conduite revêt alors un caractère d’éviction, de fuite que je pourrais sans doute comparer au déni dans le cas d’une situation trop angoissante pour être vécue et ceci afin d’éviter le morcellement du cerveau. Il conviendrait de se pencher sur ces causes de façon plus approfondie dans un autre article. Enfin, la question du rapport à la mort et d’une possibilité de suicide est une interrogation légitime mais qui est à réfuter lorsque l’on sait que c’est justement pour échapper à une mort jugée certaine que les Hikikomori se « momifient » dans cette conduite et s’extraient de la société. Il n'en demeure pas moins que cette conduite est la marque d'une profonde souffrance, d'une détresse qui prend la forme d'un SOS et que ces personnes Hikikomori doivent faire de la part de la société comme du corps médical et des représentants d'état d'une prise de conscience et de proposition de thérapies et d'aides à une réinsertion possible au sein de la société. Je suis certaine que la bibliothérapie prescriptive pourrait être une aide efficace, dans ce sens qu'elle se pratique à partir de la lecture (activité solitaire) et permet des consultations à distance.   


Bibliographie


  • Fansten, M. & Figueirido, C. (2015). Parcours de Hikikomori et typologie du retrait. Adolescence, t.33 3(3), 603-612.

  • Furuhashi, T. & Bacqué, M. (2016). Les « Hikikomori » ou les « disparus-vivants » qui ne voulait pas mourir. Etudes sur la mort, 150 (2), 113-124.

  • Pionnié-Dax, N. (2014). Expérience de retrait au Japon : Réflexions et Regards croisés sur le phénomène Hikikomori. L’Autre, volume 15(1), 64-74.

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