Vous vous demandez peut-être si la bibliothérapie n’est pas une nouvelle pratique, une lubie destinée à quelques bourgeois-bohèmes dans l’expectative de nouveautés en matière de développement personnel. Et bien non, pas du tout. La bibliothérapie plonge ses origines dans l’Antiquité où les sages et philosophes avaient déjà compris et expérimenté le pouvoir des mots sur nos maux de l’âme. Pour preuve cette inscription sur la porte de la bibliothèque de Thèbes dans la Grèce Antique : « La poitrine médicinale de l’âme ». C’est sans doute une des premières traces de l’existence de la bibliothérapie dans l’histoire.
M. L McKee et collaborateurs définissent la bibliothérapie comme étant une pratique qui permet d’utiliser les livres de façon thérapeutique pour « aider les gens à faire face aux changements, aux difficultés émotionnelles ou aux maladies mentales ». Le bibliothérapeute assure une guidance, afin de « favoriser l’apaisement » en utilisant les livres choisis pour leur pertinence comme d’un moyen selon « les besoins et situations de vie des personnes » - et ceci, dans le but de résoudre des problématiques inhérentes à chacun - Son utilisation est centrée sur : les changements de l’affect, sur une influence sur les comportements, améliorer les capacités d’adaptation, de la « connaissance et de la compréhension de soi », et ceci à travers les lectures et notamment la littérature.
La bibliothérapie vient des termes grecs : biblios, les livres et Therapeia, le soin - soit le soin par les livres - Le premier sens du mot thérapeute est : « celui qui prend soin ». Dans la langue française et anglaise, le mot « thérapie » revêt un sens curatif. Philon décrit dans son livre De la vie comtemplative une confrérie du nom de « Thérapeutes » qui vivait au 1er siècle au sud d’Alexandrie
Cette confrérie était constituée de philosophes qui soignaient : « le psychisme en proie à ces maladies pénibles et difficiles à guérir que sont l’attachement au plaisir, la désorientation du désir, les phobies, les envies, l’ignorance, le non-ajustement à ce qui est et la multitude infinie des autres pathologies et souffrances ». Il est à noter que Philon fait une distinction entre les termes :
Therapeia , la thérapie
Iatrikè, la médecine
Sur la terminologie du terme bibliothérapie, il est utile de rappeler que Freud utilisait le terme de Seelenbehandlung que l’on peut traduire par « traitement de l’âme » avant d’utiliser le terme de psychanalyse. Pour Freud, le « traitement de l’âme » est un « traitement de troubles psychiques ou corporels » dont le moyen est « avant tout le mot, et les mots sont bien l’outil essentiel du traitement psychique ». Il en résulte que les thérapeutes utilisent la therapeia en faisant usage des mots, de la parole, pour traiter l’âme et le corps par l’âme, tandis que les médecins se servent du corps pour traiter à la fois l’âme et le corps.
On retrouve la trace de la bibliothérapie au XV ème siècle à travers les écrits de Christine de Pisan qui relatera au sujet de la lecture du livre De la consolation de l’auteur Boèce : « Un jour, privée de joie, je m’étais retirée ainsi pour bercer mes malheurs/ dans une petite étude/ alors me vint entre les mains/ un livre qui m’a beaucoup plu car il m’a soustraite à mon trouble et à mon deuil…. » (2000 (1403-3) : 99).
En 1905, Marcel Proust écrivit la préface du livre Sésame et les lys de John Ruskin qu’il avait traduit. Ce texte de Proust se nomme Sur la lecture et traite de la lecture comme recréant dans l’esprit « un acte psychologique original ». La lecture constitue une porte vers la « vie spirituelle »; Proust précise que la lecture ne constitue pas la « vie spirituelle » mais elle en est une introduction. Il poursuit en affirmant que certaines pathologies telles que la « dépression spirituelle » peuvent être traitées par la lecture en tant que elles constituent « une discipline curative ». Les livres ont dès lors auprès de cet « esprit paresseux » un « rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques ». La lecture est pour Marcel Proust un déclic « d’un autre esprit » qui fait irruption dans notre solitude et nous dévoile des « demeures intérieures » dans lesquelles « nous n’aurions su pénétrer ».
La première expérience concrète de la bibliothérapie est en 1916 et date par conséquent de la première guerre mondiale. Le pasteur Samuel Crothers en proie aux traumatismes de la guerre et à la pénurie de moyens financiers chercha des alternatives pour soulager les soldats des syndromes post-traumatiques. Il employa le terme de « bibliothérapie » dans un article du Journal l’Atlantic Monthly. Dans cette continuité, Sadie Peterson Delauney, bibliothécaire de l’Hôpital des anciens combattants des Etats Unis à Tuskegee, Alabama utilisa les livres comme traitement thérapeutique pour aider les anciens combattants éprouvant des symptômes alors encore méconnus tels que : « des difficultés psychologiques et physiques : intenses « flash-back », cauchemars, apathie, anxiété … ».
De même, en 1930, le Docteur William C. Menninger, un psychiatre de renom a contribué à établir la bibliothérapie comme forme de traitement dans sa clinique psychiatrique du Kansas autour du livre The Human Mind and Man Against Himself écrit par son frère.
Plus récemment, dans les années 2000, au Royaume Unis, Ella Berthoud et Susan Eldelin, des amies depuis leurs études à Cambridge avaient pris pour habitude de se prodiguer des conseils mutuels de lecture pour : « une peine de coeur ou une inquiétude au sujet de leur carrière » ( Ceridwen Dovey, The New Yorker, 9 juin 2015 ). Elles décident alors d’étendre cette pratique empreinte de conseils de lecture à leur entourage et persuadant Alain de Botton - il deviendra un grand philosophe - un camarade de faculté d’intégrer la bibliothérapie à son programme dans la School of Life en proposant « une clinique bibliothérapeutique ».
Pour conclure, la bibliothérapie est une discipline qui remonte à l’Antiquité. Elle a été pressentie depuis toujours comme étant vertueuse sur un plan thérapeutique. Pour Ouaknin, la lecture permet d’aller à la rencontre de « l’autre » et par ricoché de rentrer en contact avec « Soi ». Il perçoit par conséquent la lecture comme un acte créatif de « soi », ce « soi » qui sera sans aucun doute transformé, dépoussiéré et potentiellement changé pour toujours.
Bibliographie
Crocq, L., 2014, Les blessés psychiques de la Grande Guerre, Odile Jacob.
McKee, M . L, & al. « Bibliotherapy », dans S.Goldstein et J.A. Naglieri ( Ed), Encyclopedia of Child Behavior and Development, Boston, MA, Springer, 2011. 237 - 238.
Ouaknin, M. A., 2016, Bibliothérapie : Lire, c’est guérir, Seuil.
Pellé-Douël, C., Ces livres qui nous font du bien : invitation à la bibliothérapie, Vanves, Marabout, 2017.
Proust, M., 1993, Sur la lecture, Actes Sud.
Tarnowski, A., 2000, Le chemin de longue étude, Librairie générale française.
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