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Photo du rédacteurAnouchka

Le voyage : un antidépresseur naturel.


Le voyage est une véritable thérapie. Voyager c’est sortir de sa zone de confort. Cela peut paraître terrifiant quand on va mal : partir, s’extraire d’un cocon connu, se mêler aux autres, au bruit, à l’intensité de la foule… Et pourtant, c’est véritablement thérapeutique.

Se confronter à des civilisations différentes, aux coutumes qui ne sont pas les nôtres permet de sortir de l’étroite carapace qui pèse sur notre corps. Cette enveloppe corporelle est notre habitat pour la vie et nous avons le devoir de l’accepter et de la respecter; pourtant rien ne nous empêche de lui proposer un dépaysement. Dépasser l’univers restreint de nos maux pour s’ouvrir à celui des autres peut procurer une véritable cure de Jouvence. Soudain, l’étroite lucarne qui nous emmure et nous tire au fond d’un puit sombre laisse entrer une intense lumière ouverte sur le monde. Une nouvelle perspective. Alors, nous percevons comme le disait avec beaucoup de justesse Flaubert « quelle petite place on occupe dans le monde »; ce qui porte chacun et chacune à la modestie. Un renversement de valeurs qui peut s’avérer véritablement salutaire si on lui accorde toute notre attention.


Voyager, c’est aussi accepter de vivre dans l’instant. Accepter que chaque petit moment de joie puisse être éphémère tout comme l’est la douleur. Dans l’acceptation, le temps se fige. L’avenir se contracte sur lui-même. Se transforme : de l’inquiétude à un éternel présent. Un présent qui oscille. Mouvant, changeant.

La conception du temps qui s’écoule tel un sablier est purement humaine. Car le temps est profondément immatériel. Nous sommes à l’origine du concept de temps en tant que « horloge biologique ».

Selon Pélicier (1991), la dépression serait une « amputation du futur », une perturbation de la capacité à appréhender le temps. Il me semble que le déprimé étant incapable d’imaginer une issue favorable à son avenir fait un déni du futur. Il amalgame le présent synonyme de douleur au futur, déniant la possibilité d’un avenir qui pourrait lui être favorable. Ce qui est une erreur d’appréciation; lorsqu’on est au fond d’un trou noir, on ne peut pas tomber plus bas. Il existe donc une forte probabilité de rebondir vers un horizon plus clément.

Accélérer le temps est un leitmotiv de notre époque. Il faut toujours courir, aller de plus en plus vite. Performer. Cependant, le philosophe Lao Zi nous enseigne que : « La nature ne se presse pas, pourtant, tout est accompli ». Nous avons quasiment banni la lenteur de notre sphère, or elle est le mouvement de la légèreté de l’être. Ralentir pour sentir le temps nous envahir. Puis nous traverser. Le voyage même lent n’est pas une perte de temps. Il est le temps.


Dans cet univers de compétition qui est le nôtre, comment sentir le temps qui passe? Comment construire durablement un équilibre? Atteindre une stabilité, savoir faire reculer les moments de découragement? Avoir le goût du challenge est une bonne chose mais être un compétiteur peut générer une comparaison permanente à l’Autre qui s’accompagne d’une culpabilité anti-productive si il y échec. Et nous rendre profondément amer et malheureux. Il est préférable d’ouvrir en soi un espace que le voyage peut nourrir. En regardant le ciel, en découvrant de nouveaux paysages et la beauté de l’inconnu. Ces expériences s’engouffrent dans l’espace ouvert et créent l’essence de l’intériorité. Rechercher le vécu du Syndrome de Stendhal est une excellente façon de sortir de la dépression. « La beauté sauvera le monde » (Dostoïevski, L’idiot).

Et chaque moment de vie est affaire d’angle de vue. En effet, comment relier neuf points placés par trois en lignes de trois points, les uns sous les autres? Le seul moyen d’y parvenir est de sortir du cadre de référence, de voir les choses différemment. Or ce cadre de référence n’est autre que la vision que nous avons du monde, de nous-même et des autres. Nous sommes souvent confrontés à ce carcan qui nous entrave dans nos prises de décision, dans nos actions, dans notre perception de la vie. La norme n’est pas toujours l’unique voire la meilleure solution à une problématique. Ce que nous devrions faire parce que la norme nous le prescrit peut être un frein à la créativité. Pourtant, la vie et notre équilibre ne sont-ils pas justement cet espace créatif qui se renouvelle à chaque tempête? Le voyage est une source inépuisable d’imprévus, de surprises. Il nous conduit sur la voie de la créativité, de l’ingéniosité. Savoir rebondir et inventer des solutions.


La créativité peut aussi être un moyen de transcender la douleur. En voyageant nous avons souvent l’envie de mettre des mots sur nos sensations. Et pour cela nous pouvons rédiger un journal ou noter nos déplacements, nos découvertes sur un cahier. La mémoire de moments de bonheur est un facteur important qui nous autorise à mettre en marge nos maux. En 1905, Freud a décrit par son concept de sublimation ce processus de transformation de la douleur en un acte créatif dans son livre Trois Essais sur la Théorie sexuelle.

Nous sommes presque tous à la recherche du plaisir qui se veut un Ersatz de la douleur. La sublimation nous ouvre une nouvelle piste de réflexion en nous montrant que la douleur peut être un formidable moteur duquel découlera le plaisir. Une bonne nouvelle : tout le monde peut réussir à utiliser la sublimation. Elle n’est pas réservée à un public averti d’artistes. Vous pouvez écrire en utilisant l’écriture automatique - laisser courir votre stylo en suivant des idées qui jailliront sans trop réfléchir - , dessiner librement sans vous censurer ni vous juger - le but n’est pas de créer une oeuvre d’art mais de vous libérer de vos maux par une expression libre - ou encore travailler la terre - poterie, statuette…-


Il est un pays plus que tout autre qui permet le rite initiatique en favorisant l’ouverture d’un sas de décompression entre l’atrocité de la réalité externe et celle de notre réalité interne. Ce pays qui parle à l’enfant blotti en chacun de nous, c’est l’Inde. Le vertige d’y voyager est ce sentiment mêlé de rejet de ce monde où la misère et la crasse des Jhuggis ( bidonvilles ) côtoient la pureté des sari immaculés de blanc ou follement colorés et les sites archéologiques d’une beauté renversante. Et dans le même temps, cette ferveur mystique accompagnée d’une incroyable sensation de liberté où l’on peut très vite se sentir tout puissant.

Ce choc culturel attire les voyageurs dans une autre dimension du réel. Le Moi se dilate pour se mêler au Tout, à l’universel. Voila en quoi consiste le sentiment « océanique ».

Et pour sortir du ronron de nos habitudes d’occidentaux, l’Inde est une pépite. Dans les rues, on croise l’animal sacré par excellence, à savoir la vache, des singes qui louvoient pour chaparder, des sadhus accroupis sur d’énormes tuyaux d’égouts qui attendent une offrande, les enfants qui quémandent stylos et pièces de monnaie ou encore des mendiants travestis en sadhus, arborant une allure de moine céleste vous enjoignant de leurs donner vingt roupies sous peine de vous jeter un mauvais sort…. Et puis, il y toutes les épreuves qui vous attendent : trains retardés - plusieurs heures de retard mais aucune précision sur le temps à attendre -, l’angoisse quasi-permanente d’attraper une maladie ( sitiophobie ) en raison entre autre de l’eau non potable et du total manque d’hygiène, et le bruit presque omniprésent, partout et tout le temps, le tout additionné de toutes les autres contrariétés diverses et variées…

Enfin, pour revenir au temps qui est une source de stress important dans nos sociétés occidentales et en dépit du bruit permanent dans ce pays où le silence semble se retrancher juste dans les temples, en Inde, le temps n’existe pas. Notre rapport au temps est totalement bouleversé. Par exemple, le sommeil étant sacré, on dort n’importe où, à n’importe quel moment dès l’instant où le corps le réclame. Là encore, il est bien question de prendre soin de soi, de ralentir, de savourer. Le temps qui passe n’est, en Inde, qu’un infime élément d’un « grand temps » éternel dans lequel il se perd.

Voyager en Inde, c’est être assuré de se laisser accueillir dans les bras de Mother India, de se laisser bercer au doux ronronnement d’un retour en enfance, de vibrer à l’ivresse d’un dépaysement total à travers le miroir d’Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carrol.

Le caractère initiatique du voyage en Inde est bien réel mais attention aux dérives possibles car le choc peut s’avérer violent et entraîner un délire aigu chez certaines personnes ( Régis Airault, 2000 ).


Et si tous les voyages ne sont pas aussi initiatiques que peut l’être celui de l’Inde, ils n’en demeurent pas moins une excellente thérapie pour chasser la monotonie et la déprime du quotidien. Quand les déplacements inhérents au voyage ne sont pas possibles, alors, vous avez la solution imparable de voyager en lisant. Je ne saurais assez vous conseiller de lire et lire. Encore et toujours. Les bienfaits de la lecture sont « ô combien » thérapeutiques.

Enfin , qui n’a jamais songé dans les moments de grande tourmente, si ce n’est à voix haute, tout du moins en son for intérieur : « Pourquoi vivre? A quoi cela sert-il? Je devrais peut-être avoir le courage d’en finir? ». Dans ces instants, je vous invite à méditer sur cette citation d’Albert Camus tirée de La Mort Heureuse : « Mais des fois, il faut plus de courage pour vivre que pour se tuer ». La vie est un voyage qu’il convient de vivre pleinement en dépit de ses nombreux paradoxes, de toutes ses interrogations, incompréhensions, de toutes ses dépressions. Un vol au long cours. Pas un problème mathématique à résoudre. Mais bien une énigme à préserver et à chérir.



Bibliographie


  • Airault R., 2002, Fous de l’Inde, Délires d’occidentaux et sentiment océanique, Paris, Petite Biblio Payot Psychologie.

  • Pélicier, Y. (1991). L’anticipation, clé du temps déprimé, Euthérapie (p.6).



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