
Le concept de résilience a été longtemps mis au banc des délaissés car supplanté par le concept de vulnérabilité. En effet, il est plus aisé de « condamner les victimes » plutôt que de les soigner. Le génial Einstein n’ayant parlé qu’à l’âge de cinq ans ne faillit pas à cette condamnation en se voyant apposer une étiquette de « futur débile mental » parce qu’il accusait un retard de la parole notable!
Le concept de résilience est un concept vaste qui touche de nombreux domaines. Dans cet article, nous aborderons ses origines, son histoire et une ébauche du rôle éthique de celui-ci.
Les deux termes précurseurs de la résilience sont en effet : le terme de « invulnérabilité » et le terme anglais to cope with ou coping qui signifie « faire face, ne pas s’effondrer, vivre avec, se débrouiller ». Pour Ludivine Bout, le concept d’invulnérabilité est apparu dans les années 70, sous l’impulsion des 2 psychiatres : le français Koupernic et l’américain Anthony. Ces auteurs considèrent que la catastrophe réside dans la collision entre une personnalité (le sujet plus ou moins vulnérable) et l’agression qu’il subit en tant que « victime » en utilisant une métaphore - La poupée = le sujet et la chute de la poupée = l’agression : la poupée de verre se casse, la poupée de laine ou de caoutchouc se déforme et la poupée en acier = invulnérabilité , résiste à condition que la hauteur ne soit pas trop haute -
D’un point de vue étymologique, le mot résilience vient du latin salire que l’on peut traduire par « sauter en arrière, rebondir, être repoussé, jaillir » et du préfixe « re » indiquant la répétition, la reprise.
La résilience revêt différentes acceptions qui sont fonctions du domaine dans laquelle elle intervient. Nous en traiterons trois mais il en existe d’autres.
En physique : « La résilience s’exprime en Joules…. Et se caractérise par la résistance aux chocs » (Le Petit Robert, édition 2009).
En psychologie : il s’agit de l’aptitude à se développer, vivre et à atteindre la réussite en faisant face à l’adversité. Cette définition véhicule l’idée d’un individu s’appuyant sur des ressources internes, des « appuis extérieurs » et des « apprentissages » qui puisent leur fondements dans l’expérience déjà acquise. On peut noter que la littérature québécoise emploie l’expression de « ressort psychologique » pour désigner le terme de « resiliency » ou résilience.
En écologie : la résilience fait référence à l’aptitude d’un « organisme ou d’une population » à récupérer ou à se régénérer ainsi que « l’aptitude d’un écosystème à se remettre plus ou moins vite d’une perturbation ». Avec cette définition, la résilience agrandit son champ d’action puisque celle-ci fait référence à une « homéostasie » qui permet à « la matière de retrouver sa forme originelle à un environnement dynamique ».
Norman Garmezy, considéré comme le « père » du concept de résilience fait de l’ « adaptation sociale » le pivot central du concept puisqu’il en parle comme du « processus, la capacité, ou le résultat d’une bonne adaptation en dépit des circonstances, des délits ou des menaces » (1993).
Lorsque l’on parle de la résilience, il convient de faire référence à l’enfance. En effet, différents troubles du comportement et d’autres psychopathologies puisent leurs fondements dans les « blessures de l’enfance ». Emmy Werner, une psychologue américaine, considérée comme « la mère » de la résilience a étudié dans le cadre de l’ « evidence psychology », c’est à dire de la psychologie des faits, à l’aide d’échelles, de tests et de statistiques l’évolution de 200 « vilains petits enfants des pauvres » sur une petite île de l’Archipel d’Hawaii durant 20 voire 30 ans. Les résultats de cette étude démontrent que 30% d’entre-eux, les « résilients » sont parvenus à mener une vie satisfaisante (Meaningful Life) sans avoir eu besoin de soins spécialisés.
En outre, les travaux sur l’attachement ont été de tout premier ordre dans la compréhension de la résilience. Le psychanalyste John Bowlby a participé à l’évacuation des enfants durant le Blitz de Londres, les aidant à quitter la zone dévastée par les bombardements des allemands. Le développement intellectuel de ces enfants était en total décalage avec la « froideur de leurs relations affectives ». John Bowlby en conclut que les nombreuses séparations subies par les enfants ne leur avaient pas permis de construire une « sécurité intérieure » susceptible de consolider un « sentiment de confiance » au regard de l’environnement.
Les études d’éthologie de Harry G Harlow ont montré que les bébés singes choisissaient plutôt « une mère en fourrure » non nourricière plutôt qu’une « mère biberon » non détentrice de « contacts sensoriels » ( https://www.psychologicalscience.org ). Il en découle pour Bowlby que l’attachement est une composante génétique, non subordonnée au « nourrissage » ni même à la « sexualité » et cela chez l’homme comme chez l’animal.
Nous pouvons en déduire que l’enfant a besoin d’une relation sécurisante et affective. En 1967, l’expérience de la Situation étrange ou Strange situation ( https://psyparinternet.fr ) de Mary Ainsworth va démonter que la confiance de l’enfant permet l’éloignement de sa mère et cette confiance va être intériorisée par l’enfant, c’est à dire va se transformer en une ressource interne. Il s’agissait d’introduire dans une même pièce un enfant, sa mère et une personne étrangère à l’enfant. Au bout de quelques instants, on faisait sortir la mère puis on lui demandait de revenir dans la pièce. Mary Ainsworth a pu ainsi déterminer 3 types d’attachement :
Evitant
Sécure
Ambivalent/résistant
Lorsque l’attachement de l’enfant est sécure, il est bien stressé lors de la séparation, mais ce processus de stress se désactive lors du retour de sa mère et l’enfant est alors de nouveau ouvert et disponible à une exploration du lieu. L’enfant sécure n’emploie pas de stratégies secondaires parce que le parent lui procure une réponse affective et sécurisante appropriée - le parent encourage sans provoquer une angoisse excessive - D’après Cassidy et collaborateurs, ce type d’attachement permet à l’enfant d’être « moins marqué par les blessures » et « plus ouvert à l’expérience ».
Enfin, la résilience convoque plusieurs domaines d’application:
Le domaine biologique qui inclut « les handicaps somatiques, congénitaux ou acquis ». Le film Le scaphandre et le papillon relate l’histoire de Dominique Baudy, quadriplégique qui dicte un livre grâce à des mouvements de paupières.
Le domaine privé : « familial » (réussite d’enfants issus de familles dysfonctionnelles ou maltraitantes…) ou « microsocial » ( misère, chômage représentent une agression sociale)
Le domaine historique : résilience face aux catastrophes naturelles, ou face aux guerres, génocides, déportation…
Ce domaine historique nous ouvre sur la question de l’éthique au regard de la résilience. Pierre André Michaud prend pour exemple Hitler, enfant maltraité qui est entré dans l’histoire et demeure un héros pour des milliers de néo-nazis. En ce qui concerne l’enfant au regard de l’éthique, il sera résilient si il a confiance en lui-même, si il se respecte en tant que personne et si il respecte les autres, ce qui est subordonné à la valorisation procurée et à son sentiment d’être aimé tout autant que soutenu.
En conclusion, le concept de résilience est étroitement lié au sentiment d’estime de soi ou d’ « auto-estime » ( Rotter). Boris Cyrulnik attribue à la résilience les caractéristiques suivantes : un QI élevé, la capacité d’être autonome, l’empathie, le sentiment de sa valeur propre, la capacité d’anticipation et de planification ainsi qu’au son sens de l’humour. Certains auteurs vont même jusqu’à attribuer à la résilience la possibilité d’être la clé de voute du bonheur ( S.Vanistendael, J. Lecomte, 2000). Ce concept est d’une grande diversité et s’il a été longtemps rangé dans « une boîte fourre-tout », sa définition s’affine de nos jours en fonction des différents domaines et champs d’action auxquels il participe.
Bibliographie
Koninckx, G. & Teneau, G. « Chapitre 1. La résilience : un nouveau concept ». Dans G. Koninckx et G. Terreau (Dir), Résilience organisationnelle : rebondir face aux turbulences ( 20-59 ). Louvain-La-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.
Poilpot, M-P. « La résilience : le réalisme de l’espérance », Fondation pour l’enfance éd., La résilience : le réalisme de l’espérance. ERES, 2005, pp.9-12.
Tisseron, S. (2017). Chapitre premier. Histoire d’une boîte à outils. Dans : Serge Tisseron éd. La résilience ( 17-41). Paris cedex 14, France : Presses Universitaires de France.
Tomkiewicz, S. « L’émergence du concept ». Dans : Fondation pour l’enfance éd. La résilience : le réalisme de l’espérance ( 45-66). Toulouse, France : ERES.
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