La mort est considérée comme un sujet intangible, un concept qu’il est préférable de laisser enfermé dans sa « boite de Pandore » et ceci plus particulièrement dans nos sociétés occidentale; pourtant, force est de constater qu’elle est un concept universel, que l’on peut difficilement se représenter en pensée, ce que Lacan assimile à l’indicible, au néant auquel il accorde un sens « mystérieux et redouté » mais dont chacun a « la certitude sans jamais pouvoir acquérir la connaissance » (Crocq, 2012). Il n’en demeure pas moins que l’EMI, c’est à dire l’Expérience de mort imminente est un moyen de connaître efficacement la mort en lui attribuant une dimension de « mythe apaisant » (Dudoit et al., 2012) qui prendrait selon Le Malefan (1999) la « succession de la médiumnité spirite » selon l’expression de Lazrac et Evrard ( 2020). L’EMI relate l’expérience de personnes ayant subi un état de « mort clinique », ces personnes étant passé par un fugace moment dans l’au-delà sont ensuite par des techniques de réanimation ramenées à la vie terrestre. Elles racontent à leur retour la vision de ce passage dans l’autre monde. Nous tenterons à l’aide des études et recherches récentes de rendre compte de ce phénomène après avoir défini cette notion d’EMI, d’en avoir fait un bref historique et une description à travers les récits des patients.
L’EMI est loin d’être un phénomène nouveau puisque Platon, dans La république rapporte l’histoire d’un soldat qui flirte avec la mort avant de revenir dans le monde des vivants et de relater son expérience dans l’autre monde. Cette histoire a été à maintes reprises ré-explorée par différents auteurs jusqu’à nos jours (Heim, 1892). Le terme d’ « expérience de mort imminente » est le fruit de recherche du philosophe Victor Egger. Egger a étudié dès 1895 les récits de rescapés de noyades ( Evrard, Lazrak et al., 2018) ainsi que les récits de chutes d’alpinistes collectés par le géologue Albert Heim et publiés en 1892 ( Le Maléfan, 1995). Il s’agit pour Egger (1896) de rendre compte du « sentiment vif du moi » selon ses termes qui est le reflet d’un « renforcement des facultés cognitives, mnésiques, perceptives et motrices décrit lors de ces expériences » ( Lazrac & Evrard, 2020).
A la suite du récit de Heim, le théologien et psychanalyste Oskar Pfister, en 1930, faisant référence à son expérience propre de chute en montagne développera sa première théorie psychanalytique au sujet des mécanismes de protection qui apparaissent en cas de danger de mort. Ces mécanismes de protection se singularisent par :
« une scission » entre des « pensées réelles » permettant une réflexion et une action sur la situation
des « pensées ou phantasmes autistes » offrant une protection psychique contre le danger que cette situation représente (Le Maléfan, 2011).
La fin du XXème siècle verra un retour vers l’intérêt porté aux EMI notamment de la part des psychiatres et des psychologues. Le psychiatre Russel Noyes et le psychologue Roy Kletti (1972, 1981), à partir des cas collectés feront l’hypothèse selon laquelle : « L’EMI s’apparente à un syndrome passager de dépersonnalisation, lorsque l’on est en danger de mort, on se scinde en un Moi en état d’alerte et en un Moi en état d’observation, rendu étranger à son propre corps, ce qui, correspondrait à un mécanisme de protection de la psyché humaine » (Schipper, 2011).
Il est actuellement admis que la définition de l’EMI reste problématique (Blanke, Dieguez, 2009) et que la solution envisagée est de faire un inventaire des « traits communs » résultant des études de l’analyse de cas de 150 patients ayant vécu une EMI selon le Docteur Moody (1975). Il s’agit de :
Ineffabilité
Audition du verdict
Sentiment de calme et de paix
Bruits
Tunnel obscur
Décorporation
Contact avec d’autres
Etre de lumière
Panorama de la vie
Frontière ou limite
Le retour
Selon les auteurs Greyson et Stevenson (1980), l’EMI serait un « état de conscience modifié qui survient lors de la perte de conscience consécutive à une menace pour la vie de l’individu (accident, arrêt cardiaque) ». Cette expérience constituerait les prémisses à la mort.
Les EMI ont été popularisées par le philosophe et psychiatre Raymond Moody (1975) qui publiera son livre best seller La vie après la vie dont le sujet passionnant d’une vie après la mort clinique ouvre le champ des possibles sur un plan philosophique tout autant que clinique. Raymond Moody emploiera le terme de near death experiences pour désigner une mort dite « récupérée » selon le jargon médicale (Moody, 1975). Moody a remarqué que les personnes ayant vécu une EMI éprouvent des difficultés à relater leur expérience par peur d’être jugées de façon dépréciative. Il était nécessaire de montrer à ces personnes que l’on s’intéressait au côté « extraordinaire de ces visions » pour susciter la narration. Certains patients relate avoir entendu l’équipe soignante parler de leur mort imminente durant leur « mort clinique » et avoir lutté dans leur rêve létal pour tenter de leur parler en vain afin de leur indiquer de continuer le travail de réanimation parce qu’ils n’étaient pas encore morts.
Dans 85% des cas, les patients ressentent paradoxalement un apaisement total, une sensation de plénitude et de paix, flottante autour de leurs psychés. Ils décrivent un tunnel sombre autour de leur mental comme une cage opaque mais les sujets parallèlement se croient lumière et rentrent en symbiose avec une immense lumière qui se situe au bout du tunnel symbolisant un nouveau monde, un éden, sorte de jardin extraordinaire. En Australie, une étude menée par Perera, Padmasekara et Belanti (2005) sur un échantillon de personnes ayant vécu une EMI (n=673) : 25,3 % déclarent avoir ressenti de la paix durant cette expérience (Corman, Monier, Sicard, Da Fonseca, Diderot, Hallez et Dambrun, 2017). Dans ce cas, s’il s’agit bien d’un ressenti d’émotions positives, il n’en demeure pas moins que l’on observe aussi à l’opposé le phénomène de négative near death experience qui désigne l’expérience inverse de ressenti d’émotions négatives suspendu à l’angoisse et à la peur - dans ce cas, il est question d’un tunnel sombre au lieu d’être lumineux ( Irwin & Bramwell, 2016).
Dans 26% des cas, les patients notent une expérience de sortie de corps et la rencontre à la sortie du tunnel avec des personnes décédées dont Kelly (2001) décrit comme étant soit une rencontre avec une ou deux personnes avec lesquelles le patient était suffisamment proche ou bien des rencontres avec des proches décédés dont le décès remonte à quelque temps et est bien connu de la personne vivant l’EMI. Ces rencontres sont toujours selon Kelly associées à la vision de lumière et du tunnel. Après étude de dossiers médicaux de personnes ayant vécu une EMI, Kelly (2001) met en exergue des variations dans la fréquence des rencontres, celles-ci mettant en balance deux facteurs :
Les conditions médicales associées à l’apparition du phénomène ( accouchement, arrêt cardiaque)
La proximité de la mort évaluée par des juges indépendants puis classée sur une échelle de 1 (non gravement malade) à 4 (suffisamment proche de la mort pour avoir subi un arrêt cardiaque ou la perte d’autres signes vitaux). Un troisième type de rencontre possible nommée Peak in Darien a été mise en lumière par Greyson (2010) : il s’agit de personnes dont le décès est survenu avant l’EMI et non communiqué, ou encore, des personnes décédées non connues de la personne qui vit l’EMI ou enfin, des personnes décédées au moment où survient l’EMI. Les explications de ce phénomènes diffèrent en fonction des auteurs :
Ce phénomène serait du à des lésions cérébrales présentes dans le lobe temporal pouvant provoquer des hallucinations ( Blackmore, 1993; Mobbs et Watt, 2011)
Ce phénomène serait lié à la survie de la conscience après la mort du corps (Betty, 2006; Greyson, 2010).
Ce phénomène est décrit comme : une anoxie au niveau du lobe temporal mais aussi au niveau du système limbique pourrait être responsable de l’apparition de flashbacks (Blackmore, 1996) mais pourrait être lié selon Mobbs et Watt (2011) au fait que les individus vivants une EMI « se trouvent dans une phase proche du rêve, propice à la consolidation des souvenirs » ( Corman, Monier, Sicard, Da Fonseca, Diderot, Hallez et Dambrun, 2017).
En ce qui concerne l’expérience de sortie de corps, c’est à dire l’OBE ( Out Body Experience), elle est définie par les personnes qui la vivent comme étant une « sensation kinesthésique de ne plus être dans un corps physique » (Corman, Monier, Sicard, Da Fonseca, Diderot, Hallez et Dambrun, 2017). Il s’agit dans cette expérience de percevoir le siège de sa conscience non plus de manière intrinsèque mais extérieure au corps physique.
On peut noter que 10% de la population générale en bonne santé est concernée par les OBE qui interviendraient en moyenne une à deux fois dans la vie de la personne (Alvarado, 1992; Blanke, Landis, Spinelli et Sec, 2004).
Selon Blanke et Arzy (2005) ET Rabeyron et Causé (2016), d’un point de vue phénoménologique, des recherches menées depuis plusieurs années ont permis de mettre en évidence, lors des OBE :
une modification de l’état de conscience accompagnée en début d’OBE d’une coupure de conscience, comme un « blanc » suivi de la sensation de se trouver hors du corps
une sensation de réalité et d’un état vécu comme différent d’un rêve perçu et proche d’un état de veille
OBE est associée à des sensations kinesthésiques comme de se sentir en dehors de son enveloppe corporelle. Il s’agit de se sentir flotter et de se déplacer rapidement
au sujet des sensations visuelles, les sujets disent se percevoir comme une « boule informe » qui flotte au dessus de leur corps qu’ils observent d’un point de vue extérieur à celui-ci
parfois, le phénomène se clôture par une « réintégration de corps ».
Cette expérience de sortie de corps amène à postuler un soi observant et un soi participant : « La personne (observatrice) se retire du participant en danger et regarde la scène comme une tierce personne désintéressée » (Noyes et Kletti, 1977). S’inspirant du modèle cybernétique des émotions de Pribram et Melges (1969), Noyes et Kletti (1976) opposeraient deux mécanismes : l’un étant fait de « mesures défensives visant à établir un contrôle interne sur la quantité de stimuli entrants », l’autre étant un « processus participatif … visant à établir une régulation externe de la stimulation ». Ces tendances opposées seraient complémentaires et étroitement reliées dans le but de favoriser la « saisie des opportunités de sauvetage » ( Evrard, 2020).
Si l’on se penche sur le processus de disjonction, il s’agirait de deux formes de consciences simultanées et contradictoires qui seraient une parfaite illustration de la théorie des deux mémoires de Bergson décrivant le fonctionnement du point d’attouchement entre le corps et l’esprit, point de contact qui semble évident au demeurant. L’EMI pourrait alors se définir comme un processus rendant compte d’un relâchement voire d’une coupure entre le corps et l’esprit. Ce modèle est le reflet d’une pensée à la fois « tendue » et attentive et à la fois « détendue », qui se distancie de « l’action immédiate ».
Si les études concernant l’EMI se poursuivent actuellement, de nombreuses zones d’ombres restent encore à élucider. L’EMI demeure une expérience constituée d’éléments parfois « disparates » voire « contradictoires » et se fait l’expression de vécus extrêmement différents.
Toutefois, il a été démontré que l’EMI constitue un voie qui trace une courbe décroissante en ce qui concerne l’anxiété et la souffrance. Cette expérience semble laisser s’éloigner le fantôme de la mort comme si le vécu d’un mort imminente avait balayé les doutes et les peurs. Ce retour dans le monde des vivants peut même constituer un nouveau départ, une occasion réelle de relativiser la mort. Le tabou de la mort s’éloigne et laisse flotter l’espoir d’une vie qui prend la forme d’une incroyable opportunité comme une seconde chance inouïe. La mort n’est plus le hasard d’un lancer de dés mais peut-être un rendez-vous avec une vie après la vie…
Bibliographie
Auxéméry, Y. (2013). Les expériences de mort imminente lors du coma : Souffrance psychodramatique ou apprentissage du réel? Perspectives Psy, 3(3), 252-258.
Corman, M., Monier, F., Sicard, A., Da Fonseca, A., Didelot, T., Hallez, Q. & Dambrun, M. (2017). L’expérience de mort imminente (EMI) : une synthèse de la littérature. L’Année psychologique, 1(1), 85-109.
Evrard, R. (2020). Se battre ET fuir : la disjonction dans les expériences de mort imminente. Etudes sur la mort, 1(1), 119-129.
Lazrac, N & Evrard, R. (2020). L’expérience de mort imminente comme rempart face au risque psychotraumatique?. Etudes sur la mort, 1(1), 27-45.
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