Selon le DSM-IV (1994, trad. fr, 1996 ), les TCA ou Troubles du comportement alimentaire peuvent se classer sous 3 formes en tant qu’addictions comportementales :
Anorexie restrictive
Anorexie-boulimie
Boulimie
Anorexie comme boulimie, toutes deux s’apparentent au champ des addictions : l’anorexie mentale par la dépendance à l’absence de nourriture et la sensation de faim, la boulimie par l’apaisement d’un état de tension , une compulsion à manger et une perte de contrôle dans l’ingestion de quantité de nourriture ( Brouwer, Mirabel-Sarron et Pham-Scottez, 2009). Dans cet article, nous traiterons de l’anorexie et de la boulimie en tachant d’en délimiter les contours, d’aborder les déficits émotionnels dans l’anorexie. Puis nous nous pencherons sur le rapport à la nourriture d’un point de vue psychanalytique dans la boulimie. Enfin, nous traiterons de l’impact des TCA sur les familles et les proches.
Reynaud en 2006 décrit les addictions comportementales comme un focus sur « un objet d’intérêt unique devenu un besoin plus qu’un désir ». Le sujet fait fie des conséquences sociales, affectives ou ayant trait à la santé, conséquences qui découlent de ce comportement. On peut en déduire que ce comportement devient « pathologique » lorsque « les conséquences néfastes l’emportent sur le plaisir obtenu et que le sujet continue ». Dans ce sens, les TCA peuvent être comparées à « une toxicomanie sans drogue » ( Pedinielli, Rouan et Bretagne, 1997) dont le cadre familial serait semblable à celui des maladies psychosomatiques selon Minuchin et collaborateurs (1978).
La boulimie vient du grec bulimia nervosa qui signifie étymologiquement « faim de boeuf » (Guelfi, Boyer, Consoli et Olivier-Martin, 2004). Pourtant considérée comme une affection récente, Blachez, dès 1969 avait fourni une description de la boulimie est tant qu’elle se caractérisait par « une faim impérieuse » que rien même « une consommation massive de nourriture » ne saurait rassasier. Blachez différencie deux formes de boulimie distinctes par les suites de la crise boulimique : d’une part suivie de torpeur et d’autre part, de vomissements. Elle comporte selon Russell (1979), trois caractéristiques fondamentales :
Des pulsions irrésistibles et impérieuses à manger avec excès
Des stratégies de contrôle de la prise de poids
Une peur morbide de grossir.
A ces comportements pathologiques, on peut adjoindre « un sentiment de perte de contrôle sur l’alimentation » auquel Faiburn et Gartner (1986) attribuent une « valeur diagnostique ». En outre, l’estime de soi serait en lien étroit avec la forme corporelle et le poids.
Concernant l’anorexie mentale, les critères diagnostiques selon le DSM-IV ( 1994, trad. fr 1996 ) sont :
Refus de maintenir le poids corporel au niveau ou en dessous d’un poids minimum normal pour l’âge et la taille
Une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale pour l’âge et pour la taille
Peur intense de prendre du poids et de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale
Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi ou déni de la gravité de la maigreur actuelle
On utilise un indice pondéral, celui de Quételet : le BMI ( body mass index ) défini par rapport au poids en kilogrammes, à la taille en mètre porté au carré. La limite inférieure à la normale est de 18 pour un indice moyen chez la femme et de 21/22 chez l’homme. Tout en sachant que la côte d’alerte se situe à 14.
En 1962, Hilde Bruch, psychiatre et psychanalyste avait soutenue l’idée que les patientes souffrant d’anorexie mentale pouvaient être sujettes à des perturbations dans la perception des sensations corporelles. En outre, ses observations mentionnaient un « défaut de conscience intéroceptive » c’est à dire « un défaut de la capacité à percevoir les processus physiologiques internes et notamment les changements physiologiques en lien avec un état émotionnel particuliers » ( Rommel & Nandrino, 2015). Plusieurs observations cliniques et des données expérimentales s’orienteraient vers des difficultés dans le traitement de l’information émotionnelle au niveau de ses propres perceptions mais aussi de celles d’autrui ou encore de « la régulation intra ou inter-personnelle des états émotionnels » ( pour une revue, voir Oldershaw et al., 2011). Il est à noter que ces dysfonctionnements d’ordre émotionnels sont intimement liés au développement et au pronostic de la maladie. Le concept d’alexithymie a été inventé par Sifneos en 1973 afin de mettre en évidence « la difficulté de certains patients sujets à des troubles mentaux ou des symptômes psychosomatiques dans l’expression de leurs émotions ». Les patientes anorexiques seraient sujettes à un déficit de la théorie de l’esprit, nommée aussi mentalisation (Morton, Frith & Leslie, 1991). Cette aptitude acquise vers l’âge de cinq ans est définie comme « la capacité d’un individu à se représenter les états mentaux d’autrui indépendamment des siens en termes d’intentions, de désirs et de croyances et d’utiliser ces représentations pour comprendre et prédire un comportement » (Premack et Woodruff, 1978). En outre, ces patientes atteintes d’anorexie mentale mettent à l’oeuvre des stratégies d’évitement dont les symptômes qui les caractérisent sont à prendre en compte eux-mêmes comme des stratégies d’évitement dans le but de « réguler un état de stress chronique » (Connan & al., 2003; Polivy et Herman, 2003). Ces stratégies par ailleurs plus ou moins efficaces à cout terme démontrent au regard de l’état psychologique des patientes qu’elles sont inefficaces sur le long terme.
La boulimie semble centrée sur un « désir d’engloutir » (Combe, 2014) c’est à dire d’ingérer l’autre en tant qu’être vivant de le laisser glisser au fond de soi et de « faire corps avec le vivant au plus profond de soi ». Ce sentiment profond du désir de faire « entrer l’autre en soi », nous l’éprouvons dans d’autres circonstances lorsque nous sommes soumis à la douleur de la perte, de la séparation, ou bien dans l’euphorie d’une rencontre. Mais nous ne pouvons assouvir tous nos désirs, de sorte qu’ils réapparaissent assouvis dans nos rêves. La crise boulimique serait cette tentative désespérée pour combler ce manque de l’autre en laissant « tomber la nourriture au fond de soi » pour « engloutir la présence ». Tentative malheureuse qui ne trouve qu’un court écho à l’apaisement et nécessite d’être renouvelée sans cesse.
La patiente boulimique se débat avec son surmoi ( ses idéaux et ses interdits ) qu’elle juge comme une « contrainte » venue et imposée de l’extérieur. Aux prises avec ce surmoi « tyrannique et cruel », la personne boulimique s’impose la perfection, l’empêchant d’être elle-même, de reconnaître l’utilité des échecs et donc de se montrer résiliente. Cette facette du Surmoi s’ajoute à une autre altération de ce surmoi visant à se « débarrasser » d’autrui considéré comme celui qui la contraint - ce qui peut pousser la boulimique jusqu’à transgresser les interdits - ce Surmoi a un double visage : le « transgressif » et celui qui est en conformité avec les « attentes des autres » , c’est à dire se conforme pour plaire aux autres - Mais lorsque surgit la crise, ce surmoi divisé et fragile ne peut constituer un frein.
Ces troubles du comportement alimentaire ont un fort impact sur l’entourage et les proches des malades. Il entraîne une grande détresse psychologique (Zabal, Mac Donald & Treasure, 2009), un niveau élevé des Indices des Emotions Exprimées qui décrit les attitudes et comportements des proches au regard du patient tels que « hostilité, criticisme, attitudes chaleureuses, commentaires positifs, surinvestissement affectif ou surprotection » (Hoste & Le Grange, 2008: Zabala & al., 2009), une sous estimation du trouble avec un sentiment de regret accompagné d’émotions négatives ( Perkins, Winn, Murray, Murphy & Schmidt, 2004). On peut adjoindre également un sentiment de perte et de deuil face à la personne qui parait dès lors si dissemblable et dégradée physiquement auquel se surajoute un sentiment d’impuissance, un épuisement physique et des insomnies ( Perkins et al., 2004). Les proches sont confrontés à un quotidien pesant face à un sujet en souffrance qui refuse de manger ou mange de façon compulsive pour se rendre aux toilettes dans la foulée pour tout régurgiter. A ces comportements s’ajoutent des tendances à s’auto-mutiler, des tentatives suicidaires voire à des problèmes d’alcoolisme. Dans un total déni de la maladie et de ses problèmes, le TCA se replie sur lui-même, refusant de communiquer avec autrui. Il se mue alors en « manipulateur », et « prend peu à peu le contrôle sur ses proches » ( Cottee-Lane & al., 2004, Highet & al., 2005). Il en résulte une forte dégradation de la relation entre les parents et le TCA.
La famille est également soumise à une forte « stigmatisation des troubles au niveau social » - la société portant un regard jugeant sur la responsabilité des proches dans la survenue et le maintien du TCA dans la maladie - Un TCA qui ne reprendrait pas de poids lors d’une hospitalisation encourt un retrait du droit de visite des ses parents, ce qui renforce, si besoin en était, la culpabilité des parents.
En conclusion, si l’on souhaite rapprocher l’anorexie de la boulimie, on peut citer les travaux d’Hilde Bruch qui fait référence, d’une part à la triade anorexie-maigreur-hyperactivité et à la triade polyphagie-obésité-passivité qu’elle classe sur un même registre comme étant « deux versants d’un même trouble fondamental dans la conscience de soi » (Igoin, 1979). Il n’en demeure pas moins que ces deux troubles pathologiques génèrent une grande souffrance chez les patients, souffrance que j’ai pu appréhender lors de mon stage de troisième année de licence de psychologie.
« Nous ne somme pas seulement corps ou simplement esprit; nous sommes corps et esprit tout ensemble » (George Sand). Cette citation permet de comprendre les liens indéfectibles entre le corps et l’esprit. La pratique de la psychologie clinique, tout comme celle de la bibliothérapie ne peuvent se dissocier des soins du corps et doivent éminemment prendre en compte la dimension humaine placée au coeur des activités cliniques des psychologues et de la fonction des bibliothérapeutes.
Bibliographie
Brouwer, A., Mirabel-Sarron, C. & Pham-Scottez, A., 2009, Les troubles des conduites alimentaires. Dans : Isabelle Varescon éd., Les addictions comportementales : Aspects cliniques et psychopathologiques, 133-203, Wavre, Belgique, Mardraga.
Combe, C. (2014). Chap 1. Le désir boulimique, Engloutir, tomber. Dans : C. Combe, Comprendre et soigner la boulimie (pp. 15-37). Paris: Dunod.
Delbaere-Blervacque, C., Courbasson, C. & Antoine, C. (2009). L’impact des troubles du comportement alimentaire sur les proches : une revue de la littérature. Psychotropes, vol. 15(3), 93-111.
Igoin, L., 1979, La boulimie et son infortune, Paris, PUF.
Rommel, D. & Nandrino, J. (2015). Chapitre 4: Processus émotionnel et trouble de la régulation émotionnelle dans l’anorexie mentale. Dans : Jean-Louis Nandrino éd : L’anorexie mentale : Des théories aux prises en charge. Dans Jena-Louis Nandrino éd : L’anorexie mentale : Des théories aux prises en charge. ( pp. 117-151 ). Paris : Dunod.
Comments